Je reçois aujourd’hui la brochure du CRILJ qui fait suite au Colloque Habiter dans la littérature pour la jeunesse (15 et 16 octobre 2021 à Paris). De plus Francis Marcoin témoigne de l’intérêt de ces rencontres dans un texte du n°323 de la Revue des livres pour enfants (février 2022). J’ai pu entendre à cette occasion de nombreuses communications qui peuvent être vues en vidéo depuis quelques mois.



Cette actualité me donne l’occasion de revenir sur un album qui m’était revenu en mémoire quand un des contributeurs fit la remarque qu’il y avait peu de fictions sur les immeubles. Ceci dit, cette affirmation n’est pas exacte comme le montre la superbe bibliographie sélective publiée à l’occasion du colloque.
En fait par une série d’association d’idées, j’ai immédiatement pensé à un petit album de mon ancienne bibliothèque de classe (NB c’est à Cergy, avec des élèves de cours préparatoire, que j’ai clos mon activité de maitre-formatrice de terrain avant 2000 et j’ai conservé mes livres personnels).

L’album écrit par Michael Rosen et illustré par Bob Graham avait toute sa place dans la bibliothèque de classe pour les élèves d’une école située au cœur des immeubles du quartier. Même si l’ouvrage est épuisé, encore disponible d’occasion, son propos accessible aux enfants dès 4 ans mérite d’être signalé en marge de la riche bibliographie du colloque car il associe très simplement plusieurs idées reliées aux notions de maison, de ville et autour du concept d’habiter.
Et peut-être est-il encore dans vos rayons…
Tout tourne d’abord autour de la possession d’une maison de carton que Gilles s’approprie, en interdisant l’accès à ses amis du terrain de jeux. En s’armant de cet enclos de carton et du pouvoir de dire non, le petit despote de bac à sable exclut ses camarades en adaptant ses justifications à chacun : ni filles, ni gamins, ni jumelles, ni porteurs de lunettes… Mais comme le montre l’illustration en page de titre, la maison a été créée et installée au départ par le groupe d’enfants. Ce carton détourné en cabane, devait initialement contenir une TV (un gros appareil cubique d’avant l’arrivée de l’écran plat) symbole au combien domestique. On y a découpé des fenêtres, peint quelques fleurs en guise de jardin à sa base et, bien évidemment, il est surmonté d’une antenne TV qui tient avec de l’adhésif. Ce bricolage ludique évoque la maison symbolique telle que les enfants la dessine spontanément jusqu’à 6 /7 ans : une conceptualisation enfantine de la maison.
Dans cette histoire, la maison-jeu est le sujet d’un conflit entre enfants et, en fin de récit, après l’entrée des exclus dans le carton, après la grosse colère de Gilles qui comprend finalement qu’il doit co-habiter avec Mathilde et Lydie, Fred, Charline et Maryline, Luc, Sophie et Rachida, la quatrième de couverture en représente la réparation collective.
En toute logique, le second thème, abordé cette fois seulement par l’image, est celui du partage des espaces urbains. C’est ce que le soulignent plusieurs illustrations dont les plans larges représentent le terrain de jeu central, avec, à peine esquissées dans les étages aux fenêtres, et sur les chemins au pied des tours d’immeubles, des silhouettes d’habitants. Les pages de garde présentent aussi une vue en plongée, de la zone circulaire dédié aux enfants avec balançoires et toboggan, particulièrement réduite au milieu des tours d’immeuble, mais colorée. Et de loin le lecteur peut repérer la maison de carton et la bande d’enfants montrés à mi-chemin entre un des bâtiments et l’espace des jeux. Le lecteur peut noter que les enfants investissent ainsi d’autres territoires que ceux qui leur sont dédiés. En dernière illustration, la place vide se réchauffe d’un arc-en-ciel : l’entente des enfants autour de leur maison bricolée contraste avec l’anonymat des blocs de tours bétonnées. C’est en fait une petite histoire de conquête, de gagne-terrain pour vivre ensemble ! Le jeu enfantin créé autour du carton élargit bien la proclamation au-delà du terrain de jeu vers la ville et les immeubles : cette maison est à tout le monde !
Publication originale en 1986 en Grande Bretagne par Walker Books Ltd sous le titre This is our house
Quelques remarques sur les images de ce petit récit en album :
- Le trait est léger, cerné et vif, et l’emploi des couleurs n’est pas anodin. Ce qui est coloré est comme surligné par rapport au récit et au texte : les personnages qui dialoguent, les zones où se concentre l’action… la couleur hiérarchise la circulation du regard en deux zones, une zone lumineuse de teintes acidulées et une zone grise ombrée. Cela construit des contrastes intéressants pour interpréter notamment le conflit.
- Le récit est structuré avec des pages très variées : les double-pages sont aménagées pour rythmer la narration en petites séquences internes (des épisodes).
- Plusieurs pages jouent sur le changement de cadrage grâce à des plans larges qui montrent -ou rappellent- le lieu de l’histoire avec des immeubles en arrière-plan, mais mettent également en évidence certaines scènes. Par exemple le retour de Gilles face à « sa » maison occupée.