Cette page s’intéresse aux ré-illustrations donc aux univers visuels que les illustrateurs créent pour revisiter des œuvres déjà éditées illustrées auparavant. Et aux questions que peuvent poser ces ré-illustrations.
- un illustrateur ré-interprète le même texte plusieurs fois : Georges Lemoine
- une œuvre de Kipling adaptée pour être ré-illustrée : Histoires comme çà
- …page à compléter.
Les illustrateurs s’approprient les œuvres par la création de nouvelles images.
Les œuvres patrimoniales de la littérature font l’objet de rééditions régulières et, en ce qui concerne les éditions pour la jeunesse, elles prennent souvent de nouvelles formes, avec de nouvelles illustrations dans de nouvelles mises en pages. Aujourd’hui certains contes occupent des longueurs de rayons avec des éditions différentes…
Ci-contre des exemples d’illustration de contes et plusieurs interprétations deviennent des références…
D’un autre côté un certain nombre d’images anciennes, devenues patrimoniales comme celles de Gustave Doré pour les Contes de Perrault (1867), ont un statut d’illustration de référence, s’associant à l’œuvre originale dans la mémoire collective (j’en ai souvent fait le test avec les étudiants). Pourtant Gustave Doré a illustré ces contes environ deux cents ans après l’édition originale du recueil des Histoires ou Contes du temps passé (1697). Ainsi, qu’elles soient anciennes ou récentes, il existe des versions illustrées par des artistes dont les images sont des interprétations remarquables, avec de grandes qualités graphiques et littéraires.
Du côté des textes, il y a bien sûr depuis longtemps de nouvelles formes, avec des adaptations ou de nouvelles traductions. Dans l’article consacré au phénomène de l’adaptation dans le Dictionnaire du livre de jeunesse, I. Nières- Chevrel constate que la démarche se situe entre le désir de rendre accessible et celui, plus massif, de commercialisation sur la « célébrité » du titre. « Si contestables que puissent être les pratiques des éditeurs et des adaptateurs, il faut reconnaitre que toutes ces versions de tant de textes inlassablement remaniés, réécrits, trahis, ont malgré tout contribué à construire des références communes, à défaut d’une réelle culture commune. » (p. 11)
Montrant qu’un texte littéraire peut supporter de multiples interprétations, Georges Lemoine a réalisé plusieurs illustrations du même texte pour des projets de livres différents :
- Deux séries d’illustrations un récit de Henri Bosco pour deux formats très différents : un grand album dans la très belle collection Grands textes illustrés en 1977 et une autre série pour un poche en folio junior deux ans plus tard.
- Deux séries d’images pour une nouvelle de J-M.G. Le Clézio, Peuple du ciel, pour un album en 1991 et pour un folio junior paru en 1990 ;
- Et deux albums différents pour le conte de H-C. Andersen avec deux titres : La petite fille aux allumettes en Enfantimages pour Gallimard jeunesse en 1978 (poche folio en 1988) et La petite marchande d’allumettes chez Nathan en 1999.
Conte de Mme de Villeneuve Illustré par Etienne Delessert
Grasset Monsieur Chat, 1984illustré par Binette Schroeder
Albin Michel jeunesse, 1986Scenario de Jean Cocteau,
illustré par Alain Gauthier, Ipomée, 1988.Illustré par Nicole Claveloux
éd. Thierry Magnier, 2013 [Etre 2001]Illustré par Jean Claverie, Nord-Sud, 1982 Illustré par Stasys Eidrigevicius, Nord-Sud, 1990 Illustré par Fred Marcellino
Gallimard jeunesse, folio benjamin 2016 [1991]Illustré par Albertine, La Joie de Lire, 2009. Illustré par Eric Battut, Bilboquet 2015.
Si les cinq albums sous le titre Le chat Botté sont bien tous des ré-illustrations du texte de Charles Perrault, les albums qui titrent La Belle et la Bête correspondent à des textes différents. Les illustrations de Nicole Claveloux et Binette Schroeder accompagnent le texte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1757) qui est le plus diffusé et le plus connu. Mais le grand format illustré par Alain Gauthier joint au même texte le scenario de Jean Cocteau pour son film de 1946, et les images sont associées à cette partie. Et dans l’album de Grasset Jeunesse, Étienne Delessert illustre le conte de Gabrielle de Villeneuve (1740), donc le conte original. L’iconographie liée à des personnages de conte et à la trame de leur histoire est ainsi revue et augmentée.
Illustration de Gustave Doré pour Le Chat Botté sur Gallica.fr, et un avec des liens sur le sujet.
Une source en ligne au sujet des contes : l’exposition virtuelle de la BNF
Quand un illustrateur ré-interprète deux fois le même texte :
Gallimard, Grands textes illustrés, 1977 Gallimard jeunesse, folio junior 1979 Dans un recueil en folio junior 1990 Gallimard, 1991 Gallimard jeunesse, Enfantimages, 1978 Nathan, 1999
« Produire une nouvelle interprétation par l’illustration permet un dévoilement de significations et approfondit la compréhension de l’œuvre. Il semble que sa pratique d’illustration soit la confirmation même de la formule de Borges : « La littérature est inépuisable pour la raison suffisante qu’un seul livre l’est.» La recontextualisation d’un texte dans une réédition ou sous une forme éditoriale différente est l’occasion d’un nouvel engagement de l’illustrateur et pour deux des œuvres concernées l’investissement de l’artiste s’est révélé très important. » C. Plu voir le chapitre de la thèse sur ce thème ici
Quand il y a ré-illustration d’une œuvre initialement illustrée
Histoires comme çà, Rudyard Kipling
Aujourd’hui, les jeunes lecteurs français peuvent lire le recueil des Histoires comme çà de Rudyard Kipling avec des illustrations différentes de grande qualité. De grands artistes comme Étienne Delessert ou May Angeli ont associé leur univers graphiques à ces récits ontologiques fantaisistes, en livrant ainsi des interprétations qui restent des références. Dans les outils mis à disposition des enseignants avec les listes ministérielles pour l’école primaire, plusieurs éditions sont mentionnées avec quatre versions illustrées :
- Une illustration noir et blanc, une erreur sur l’édition laisse penser-ou espérer- qu’il s’agisse de celle de Rudyard Kipling, qui est parue chez Delagrave en 1903, et rééditées depuis. Les illustrations originales parues en noir et blanc sont initialement commentées et reliées à des paragraphes de texte dans l’œuvre originale (voir plus loin). Cela participe à la complexité de la lecture mais cela apporte un degré de plus dans la connivence proposée par le narrateur avec les récits.
- La version adaptée pour Folio cadet illustrée par Etienne Delessert en 1972. L’illustrateur accompagne le recueil avec des images très singulières qui ne perdent aucunement leur modernité ni leur originalité depuis leur création. Jouant sur des couleurs très finement travaillées, les silhouettes et les regards figés des animaux donnent aux vignettes une grande présence dans les pages de texte. Le choix des scènes représentées souligne le décalage humoristique des récits et la douce étrangeté de l’univers graphique de l’artiste entre en cohérence avec l’imagination fantaisiste des textes de Kipling. Voir aussi ici.
- Les différentes rééditions des éditions du Sorbier parues depuis 1992 avec les images de May Angeli sont aujourd’hui rééditées dans un recueil chez Seuil jeunesse (2021). Pour sa part May Angeli avait choisi d’illustrer à partir de la gravure dès les premiers albums en 1992. Le grain du papier, l’effet de matière des bois sur les couleurs et les cadrages apportent l’originalité demandée par les récits. Les illustrations présentent des scènes comme surexposées au soleil, comme pour » Comment le rhinocéros… » grâce aux jeux d’ombres, ou suggèrent les mouvements de l’eau par le travail de réserve. Les silhouettes des animaux évoquent des gravures anciennes ou traditionnelles de l’estampe. Voir un article dans le blog (27 11 21).
- Et une version abrégée parue en livre de poche jeunesse et illustrée par Fred Sochard en 2014.






Un cas à réfléchir : le texte adapté pour pouvoir être ré-illustré
Si les illustrations d’origine ont été créées pour accompagner le texte par l’auteur du texte lui-même, comme c’est le cas avec Rudyard Kipling pour son recueil Histoires comme çà, que penser du processus de ré-illustration par de nouveaux artistes ? Il ne s’agit pas d’en débattre d’autant plus que les ré-illustrations des artistes cités ci-dessus sont devenues, à juste titre, des références, mais dans ce cas précis, les éditeurs ont été contraints d’adapter le texte, qui est pour cela tronqué, afin d’en publier de nouvelles illustrations.
Un article de Pierre Encrevé, paru dans la Revue des livres pour enfants(n°98-99) en 1984, m’est resté en mémoire au sujet de cette question de la légitimité à ré-illustrer cette œuvre, notamment parce que le linguiste, auteur de l’article, le faisait avec vigueur et humour, en adoptant –ou imitant- le style de l’écrivain. Mais l’exemple qu’il pointait n’était pas anodin car Rudyard Kipling avait conçu une dépendance entre ses illustrations et son texte original : « […]il prévit sans difficulté que les mêmes éditeurs qui lui refusaient de mettre des couleurs sur ses images s’empresseraient, lui disparu, de les faire platement colorier par un autre ; puis trouveraient bon de défaire le splendide édifice de mots et de dessins qu’il avait construit en supprimant ses images à lui, ses images comme ça, pour en placer d’autres, un peu plus comme ci ou comme si. De sorte que cet auteur plein d’astuce fabricola un dispositif livresque qui empêchât de s’emparer totalement du texte de ses histoires ceux qui en seraient tentés ; ou qui pût, au moins, les gratter un peu sous la peau. Il élabora des dessins apparemment très maladroits mais magiques, qui imposaient qu’on le laissât écrire un long texte en regard de chacun. Dans ces textes il disait par exemple que tels dessins seraient bien plus jolis encore s’il avait eu la permission de les peindre avec des couleurs ; et ajoutait : « Je crois que ça aurait plus d’œil si tu peignais le bananier en vert et l’Enfant d’Eléphant en rouge ». L’article de deux pages ici. Les passages de texte qui créaient ce jeu avec les images ont été retirés des rééditions car la contrainte imposée par le système de Kipling rendait la ré-illustration impossible, ou complètement absurde.
NB Le texte de Just so stories for litlle children (Londres :Mac Millan, 1902) est aussi sujet à de nouvelles versions dans les rééditions : si les traductions de R. D’Humières, L. Fabulet et P. Gripari sont les plus référencées, les gravures de May Angeli accompagnent une traduction plus récente de F. Dupuigrenet Desroussilles. Au final, parmi les multiples rééditions et ré-illustrations, seul le fac-simile de 1903 conserve l’intégralité de l’œuvre originale traduite en français.