Un réseau d’images pour interpréter une œuvre

Bon nombre des œuvres patrimoniales de la littérature pour la jeunesse font l’objet de rééditions régulières avec de nouvelles illustrations et de nouvelles mises en pages. Parmi ces nombreuses versions, il existe des versions illustrées par des artistes dont la qualité, sur les plans graphique et littéraire, laissent un grand choix aux médiateurs.

Cette richesse offre une intéressante possibilité de médiation pour la lecture d’un conte, d’une fable ou d’un récit patrimonial ancien, en associant des images d’artistes et en profitant de leurs interprétations des œuvres.

DANS CETTE PAGE un dispositif de médiation littéraire qui associe plusieurs versions illustrées à une lecture. les exemples s’appuient sur l’idée que la compréhension et l’interprétation sont nourries grâce à cette mise en relation.

Deux réseaux exemples avec le conte de Hansel et Gretel et pour différentes versions du conte Les trois petits cochons.

Cette proposition s’appuie bien évidemment sur les pratiques comparatives de lecture en réseaux et sur la combinaison de temps de réflexion individuels et collectifs, d’observation des images, de relecture et de verbalisation.

Un premier exemple :

Plusieurs illustrations pour lire Hansel et Gretel

Ce conte appartient au recueil Contes de l’enfance et du foyer (Kinder und Haumärchen, paru entre 1822 et 1857) de Jacob et Wilhem Grimm, auteurs allemands qui ont recueillis deux cent contes et des légendes à partir de sources germaniques. Ce conte est paru dans le premier recueil de 1812. Il a fait l’objet de plusieurs traductions et de nombreuses adaptations.

Le corpus choisi pour cet exemple réunit des livres très différents, que les éditeurs n’ont pas adressés aux mêmes publics. La séance à partir de ces illustrations pourrait concerner des lecteurs à partir de 7 ans donc de cycle 2 comme le préconisent les listes ministérielles de l’éducation nationale qui conseille ce conte et plusieurs de ces éditions.

Hänsel et Gretel, Grimm, L. Mattotti, Gallimard jeunesse, 2009.
Hansel et Gretel, J. et W. Grimm, A. Browne, l’école des loisirs, 2001.
Frères Grimm, L. Zwerger, Nathan, 1990.
Contes de Grimm, P. Pullman, S. Tan, Gallimard, 2012.

La première version choisie, déjà présentée sur une page de ce site est un album paru en 2009. Le texte du conte original est traduit par J-C. Mourlevat et la mise en pages propose de grandes doubles pages pour la puissante et sombre illustration de Lorenzo Mattotti. » L’illustrateur italien trouve dans le noir une force expressionniste saisissante pour raconter le drame des deux enfants abandonnés. » peut-on lire sur le site de l’éditeur. Voir une proposition de lecture ici

Dans l’album de Hansel et Gretel, édité en 2001 par Kaléidoscope, l’adaptation du texte en français a été écrite par Elizabeth Duval. Il s’agit donc une variante du conte : « illustré par le magicien Anthony Browne, c’est encore autre chose… «  dit le site de l’éditeur. L’illustrateur actualise le conte avec un univers ancré dans le contemporain et mêle, à son habitude, le familier et le fantastique, avec des images colorées et vives. Les détails graphiques avec lesquels il joue, apportent à son réalisme une dimension foisonnante et fantaisiste.

Le troisième album est une édition de 1990, un petit album réédité chez Nathan dans la collection « Contes pour petits et grands », initialement paru chez Nord-Sud. Le texte du conte est adapté -réduit- par Isabelle Texier pour une illustration de Lisbeth Zwerger (prix Hans Christian Andersen en 1990). Le trait léger et stylisé de l’illustratrice, inspiré de celui de Arthur Rackham, représente les personnages sur des pages aquarellées laissant peu de place au décor. L’atmosphère est brumeuse et douce dans des camaïeux de brun orangé, de rouge et de gris bleuté.

La dernière illustration est choisie dans un recueil, paru chez Gallimard jeunesse en 2014, qui s’adresse aux adolescents et adultes du fait de ses notes critiques. Les contes ont été réécrits par l’écrivain Philippe Pullman qui explique en préface comment il a conçu l’écriture de ses variantes, proches d’improvisations musicales « à l’instar du jazz ». Chaque conte est accompagné d’une unique image en hors -texte : « Le génial Shaun Tan s’est inspiré des sculptures inuits et précolombiennes pour réaliser des figurines qui semblent comme «exhumées de fouilles imaginaires» afin d’illuminer ces contes en préservant leur mystère. » dit le site de l’éditeur. le conte de « Hansel et Gretel » se trouve aux pages 103 à 115.


La méthode est simplement celle de la mise en relation, avec des points de comparaison, de pages illustrées pour penser des liens avec le conte. Cela pourrait s’effectuer à partir de la totalité du livre mais cela peut être trop long en médiation. J’envisage plutôt une activité qui relie deux -ou trois- interprétations illustrées et puisse s’intégrer à une séquence de lecture. Donc la proposition est de cibler l’attention sur un passage important qui est relu (ce passage pourrait aussi être suggéré par les lecteurs…) en comparant deux ou trois versions d’illustration différentes.


Passage choisi : la découverte de la maison de sucre par Hänsel et Gretel et l’apparition de la vieille

Le choix du passage peut venir d’abord de son importance dans le récit, passage-clé pour la narration, emblématique de l’œuvre, porteur d’une force symbolique. Mais il peut aussi être déterminé par la qualité d’une illustration qui en donne une interprétation singulière, puissante ou énigmatique.

Texte du passage choisi « À midi, ils rencontrèrent un joli oiseau blanc, blanc comme la neige. Il était perché sur une branche et chantait si bien qu’ils s’arrêtèrent pour l’écouter. Quand il eut fini, il agita ses ailes et s’envola devant eux. Ils le suivirent jusqu’à une maison sur le toit de laquelle il se posa. […] Elles les prit tous les deux par la main et les entraina dans la maisonnette. » extrait de l’album Gallimard jeunesse de 2009, grâce à la traduction de J-C. Mourlevat du conte des Grimm. Des lecteurs pourraient préférer la scène où les enfants sont perdus en forêt ou la résolution quand Gretel pousse la sorcière dans le four… qui sont un peu moins emblématiques mais toutes deux aussi pertinentes pour revenir sur ce conte sur les plans narratif et symbolique.

Les livres choisis, parce qu’ils ne consacrent pas le même nombre de doubles pages au conte et découpent le texte différemment, proposent des variantes pour une scénographie par l’image, avec parfois plusieurs illustrations pour le passage en question.

Les illustrations choisies ci-contre sont envisagées dans leur complexité : elles sont rangées de la plus simple à la plus complexe. Pour les séries, il faut construire le sens entre elles, mais une image unique n’est pas toujours plus simple à interpréter. La familiarité de ce qu’elle montre, son réalisme ou son abstraction en changent l’approche. L’attention à ces images différentes peut donc avoir un intérêt pour pour l’apprentissage du regard, en lien avec les références artistiques. Les jeunes lecteurs ont besoin d ‘apprendre à traiter les images autant que les textes. (dédicace spéciale à Franck ! collègue d’art)

Montage avec les pages des albums mentionnés dans la page, pour exemple

1 Lisbeth Zwerger propose pour ce passage une double pleine page à fond perdu. Cette illustration sur deux pages, sans texte, est unique dans l’album : cette charnière du conte est donc signalée par une rupture de mise en pages. L’illustration est claire, la scène comme fondue dans la page grâce aux effets diffus de l’aquarelle brune, s’intégrant dans l’harmonie du livre. La scène vue par l’illustratrice montre les enfants insouciants en train de manger alors que la vieille femme observe son piège opérer à distance et approche. A gauche de l’image, la silhouette voutée de la vieille femme, presque difforme avec son vêtement flou, prolonge de son corps la matière de sa maison. Son rictus et son regard rougi lui donnent un masque inquiétant. De leur place, les enfants ne la voient pas. Gretel assise sur son foulard regarde son frère, car c’est bien lui qui l’encourage à se servir, à cette étape du conte, c’est le plus intrépide des deux. Cela changera. La fenêtre avec sa vitre cassée, le bord du toit irrégulier rappelle d’où vient ce qu’ils mangent.Cette image invite à une empathie pour Hänsel et Gretel, grâce aux attitudes « naturelles » des enfants et à leur quiétude éphémère. Et cette petite maison de pain, de gâteau et de sucre au centre de la double page, qui pourrait y résister ?

2 L’album illustré par Lorenzo Mattotti, avec sa construction qui fait alterner double page de texte et d’illustration, consacre deux grandes images au passage. L’album a déjà été présenté sur le site ainsi que plusieurs interprétations de ces illustrations.

Dans les deux planches, la représentation de la maison se fond parmi les arbres de la forêt grâce à la trame des coups de pinceaux et aux jeux graphiques du noir et blanc. Au moment de la découverte de l’image, le lecteur la distingue à peine car la composition oriente d’abord le regard vers les deux silhouettes des enfants dans la lumière blanche. Puis en suivant leur direction en face dans l’image, la forme de cette maison au toit conique se détache comme sertie entre les troncs. Seul le texte apporte la précision sur la matière dont elle est faite.

Dans la seconde double page, la planche joue encore sur un treillis de coups de pinceaux, laissant le doute sur la scène vue : est-ce à l’intérieur ou à l’extérieur ? Les enfants accueillis d’un geste de main par la vieille vue en silhouette face à la porte, sont-ils déjà dans sa maison ? Quoiqu’il en soit, l’atmosphère est oppressante car l’image enferme les personnages dans ce qui peut être interprété comme une cage dont la seule fenêtre est grillagée.

2 Anthony Browne accorde deux doubles pages au passage choisi et le passage est illustré par quatre images. En effet, la mise en page de l’album est régulière pour toutes les pages : une vignette sur la page de gauche en face d’une planche à droite. La première page représente l’arrivée à la maison, une vignette représente le bel oiseau blanc qui guide les enfants et on le retrouve dans l’illustration suivante sur le toit de la maison colorée en arrière-plan. Mais l’image de droite montre aussi Hansel et Gretel, l’un près de l’autre au premier plan. Ils sont de dos au lecteur qui est donc placé dans un point de vue proche du leur pendant la découverte. A la double page suivante, la vignette montre le geste de Hansel qui prend un morceau du toit. Et en face, un plan rapproché sur la maison fait apparaitre la vieille femme à la fenêtre avec son chat, noir évidemment. Les rideaux, clos à la page précédente, sont ouverts, traçant un chapeau de sorcière dans lequel s’inscrit ce portrait glaçant. Le regard étrange et la bouche pincée donnent à ce personnage un air sévère et cruel. Ce portrait saisissant rappelle un autre portrait de l’album, celui de la marâtre quand les enfants reviennent chez eux grâce aux cailloux semés sur le chemin (voir la 6ème double page). Cet effet d’écho d’images qui se répètent dans leur construction, crée une correspondance entre les personnages féminins et les maisons où entrent les héros. Browne illustre ainsi  les dimensions symboliques de ce conte offrant une interprétation que chaque lecteur verra selon son âge.

4 Pour ce conte, l’illustrateur Shaun Tan construit une image unique en photographiant l’assemblage d’un modelage de sa création. la scène est éclairée de façon à ce que les ombres se déportent d’une figure sur l’autre. Il propose cette image à partir de quatre figurines : deux enfants et la maisonnette surplombés par une figure féminine monstrueuse, le visage déformé d’un rictus, bouche ouverte avec dents. La scène est frappante et puissante du fait de la disproportion entre cette silhouette de la vieille, haute comme un arbre, à côté de sa maison et des enfants qui semblent bien vulnérables. Comme le signale l’éditeur, l’illustrateur s’inspire de la culture inuits et on reconnait dans ce masque monstrueux une de leurs figures chamaniques ancestrales… La maisonnette très stylisée, et fissurée, est couverte de perles de sucre, certaines au sol représentent les morceaux cassés par Hänsel et Gretel : ils la détruisent. En position assise, la fillette identifiable à une jupe et un chignon et le garçon à ses côtés sont montrés portant la nourriture à leurs bouches invisibles. Tournés vers la droite et penchés sur ce qu’ils mangent, ils ne voient pas la silhouette menaçante derrière la maison alors que le lecteur ne peut la quitter des yeux. Tout dans cette illustration est dédié à la dévoration, ce motif récurrent des contes traditionnels. Et la vision de Shaun Tan est paradoxale, blanche et très menaçante, simple mais dense, elle semble hurler au lecteur le danger qui menace les héros.


Il s’agit de chercher ce que disent les images pour ce passage du conte et d’en parler ensemble. L’enseignant médiateur recueille les observations en demandant de justifier précisément c’est-à-dire d’expliquer sur quoi elles s’appuient dans le texte ou l’illustration. Des points de convergence et de différence sont identifiés pour leur lien au conte. Il peut y avoir aussi une mise en évidence de détails différents, de repérer ce qui n’est pas illustré et laissé au texte, ou à l’imagination des lecteurs.

Et, par ce détour qui demande d’opérer des allers et retours entre les images et le conte, la compréhension est complétée -ou confirmée- et l’interprétation des jeunes lecteurs se nourrit. L’enjeu est double : apprendre à lire avec des images, donc à tenir compte des illustrations pour le sens de ce qu’on lit, et contribuer à la mémoire culturelle des lectures avec l’étude approfondie de passages importants, emblématiques.

Nota bene : même si les pages sont projetées pour l’observation, il est essentiel d’avoir les albums sous les yeux, voire en main.

De nombreuses situations peuvent ainsi être proposées aux élèves au vu de la diversité des combinaisons créatives proposées par les illustrateurs et auteurs-illustrateurs qui interprètent le même texte. A partir d’un corpus autour d’un conte, La barbe Bleue de Charles Perrault, un article de 2008 proposait une démarche en c 3 : « Comparer les illustrations pour interpréter le texte » « Il s’agit donc de placer les élèves en situation de développer une étude  comparative : avec l’aide de l’enseignant, ils comparent en lisant et observant, par le biais de l’oral ou de l’écrit, en petit groupe ou en groupe classe, deux  -ou trois- interprétations différentes d’une œuvre avec pour objectif de travailler sur ce que dit le texte en s’appuyant sur les différentes illustrations comme autant de façons de le comprendre. La séquence s’amorce par la lecture d’une des versions, ou même du texte seul, et la succession des séances suivantes présente les variations d’illustration sur lesquelles les élèves seront invités à effectuer des observations ciblées. » C. Plu, Cahiers pédagogiques n°432, « Littérature de jeunesse, une nouvelle discipline scolaire » (2008)

Dans Les chemins de la littérature au cycle 3 , (ouvrage collectif sous la direction de Marie-Luce. Gion, SCEREN, 2003) Brigitte Gaston-Lagorre consacre un chapitre aux fables et propose de comparer les illustrations pour une même fable. Parmi les critères réfléchis qu’elle présente, l’auteure souligne l’importance de l’illustration. Donc il s’agit de sélectionner des images de qualité, une illustration » qui dépasse le texte en l’ouvrant sur le non-dit et sur l’imaginaire ou encore de celle qui focalise un élément du texte, cherchant en cela à souligner l’importance d’un passage rendu fondamental. »(page 85). En puisant dans quatre cents ans d’illustration des fables jusqu’à aujourd’hui, le médiateur a le choix, notamment parmi les tendances artistiques variées portées par les créations des illustrateurs, certaines étant des chefs-d’œuvre. Au delà de l’intérêt culturel évident de cette approche artistique, la comparaison d’illustrations amène à réfléchir sur le point de vue apporté par les images. « Si le texte reste tout puissant, l’illustration le « représente » en ce qu’il a souvent d’essentiel, le reformulant autrement et le synthétisant. » (p 86) Il s’agit bien d’une interprétation.

Un autre exemple :

Les trois petits cochons, lire le conte et ses variantes avec les images

Sous un titre identique ou proche, le médiateur trouve de très -trop- nombreux albums de ce conte important pour la culture de la petite enfance : cet exemple est choisi parce que très présent dans les médiations scolaires avec des albums très différents dans les rayons des bibliothèques ! Donc que faire avec leurs images ?

Après quelques éléments d’analyse et des repères sur les albums en rapport avec le conte et ses variantes suivis de quelques propositions de mise en relation de pages illustrées dans l’objectif d’une culture littéraire en réseaux qui intègre les illustrations.

L’idée générale est de proposer une iconographie de qualité tout en s’attachant à la présenter en cohérence avec les caractéristiques d’un conte dans son adaptation, ses variantes ou réécritures. Donc d’adapter les choix de version illustrée aux objectifs. Visuellement, la référence à un conte peut s’effectuer très rapidement grâce aux figures identifiables de son iconographie : les personnages, lieux et scènes emblématiques sont ainsi très directement reconnus grâce aux illustrations, dès la couverture puis ensuite au feuilletage, avec ou hors lecture du texte. Le choix de l’iconographie qui s’inscrira en mémoire avec le récit est donc important : outre la qualité graphique des illustrations, condition évidente de départ, les pages illustrées qui portent sur les étapes-clés doivent être claires avec une composition des images qui donne de la force au sens des scènes du conte.

Visuellement et directement, une image réunissant trois cochons et un loup permet de mobiliser le conte type n°124, selon la classification internationale, quelle que soit la version connue initialement et la réécriture qui est proposée. Dans ce cas, les images font apparaitre au premier coup d’œil un lien entre les variantes, avec l’hypothèse d’une trame commune, même si les récits portés par les pages se révèlent différents une fois la lecture mise en route. C’est le thème de cette proposition.

En préalable ci-contre présentation d’un corpus dont la majorité des titres sont des albums de référence , mais avec quelques rappel, ou précisions, sur les enjeux pour la transmission du conte.

Dans les albums de la seconde colonne à droite, les auteurs proposent des trames de conte adaptée avec cette coupure de la seconde partie et pour deux d’entre eux, des variantes de fin.  « […] Cette histoire fait donc aussi comprendre que le temps est nécessaire pour accéder à plus de maturité, qu’en progressant, on peut se dresser contre des adversaires puissants. Ce conte classique a évolué avec le temps et présente de nos jours de nombreuses versions dont la morale ou les péripéties s’opposent parfois radicalement à la version première. C’est toute la portée du conte qui devient alors obsolète. Ainsi, à cette version première où le lecteur et,  a fortiori, le très jeune lecteur, côtoient la mort, la peut et l`échec mais aussi la réussite et le courage, succèdent des versions modernes « édulcorées ›› puisque très souvent, le passage central où l`on voit les deux premiers frères finir dans la bouche du loup est transformé : ils s’enfuient chez leur grand frère. La fin (les trois propositions du loup pour dévorer le troisième petit cochon) est souvent également absente. Pourtant ces passages, et notamment le passage central, sont primordiaux dans la construction du conte. La valeur moralisante dont l’enjeu est ici l’apprentissage des normes sociales, est supprimée. » Lire des œuvres littéraires, les comprendre, les mettre en réseau, F. Jenner et al., Belin, 2008 (Chap. 2 Les trois petits cochons).p 62.

Au sujet des contes de tradition orale à structure répétitive, lire l’article d’Hélène Weis « Le conte en randonnée, un classique pérenne de l’école maternelle » dans STRENAE n°19 (2021) : après avoir posé plusieurs repères sur les catégories de contes concernés, l’auteure s s’entretient avec Cécile Murcier, spécialiste et collaboratrice pour « À petits petons », collection de Didier Jeunesse. Ici un titre lié


1 : L’album de Julia Chausson ci-dessous propose une réécriture libre à partir de variantes orales (en page de garde les sources recueillies dans différentes régions françaises sont indiquées). La trame du conte avec ces motifs de dévoration et la confrontation victorieuse du dernier cochon est bien là. Le choix de gravures sur bois (article ici) pour l’illustration s’avère cohérent avec les sources folkloriques.

Utile ? un petit rappel sur le conte d’origine car les albums ci-dessous proposent des adaptations à partir d’une forme écrite originale : la première version écrite par James O. Halliwell-Phillips en 1843 (Nursery Rhymes and Nursery Tales, n° 55, p. 16, The Three Little Pigs) est aussi la base des adaptations les plus fréquentes.

Dans cette colonne, trois livres aux illustrations de grande qualité, pour la physionomie des personnages, les lieux et l’accompagnement du récit, dont la trame est complète. Les textes adaptés, dans les tournures ou les dialogues, diffèrent donc un peu mais conservent tous les épisodes avec l’épreuve des navets, des pommiers et du tonneau de la foire, avant la chute du loup dans la marmite. Car il est essentiel qu’il soit mangé à son tour ! Les trois albums sont préconisés pour une connaissance de cette première forme écrite de 1843.

L. Brooke, Corentin, 2015 [1862)]
E. Futamata, E. Kishida, L’école des loisirs, 1993
E. Blegvad, Folio cadet, 2010 [2001; 1986 pour les illustrations]

Dans l’album de Eric Blegvad, les illustrations sont nombreuses, souvent des cabochons dans les pages. Les images accompagnent visuellement de nombreux éléments de texte. Cela explique la parution dans une collection pour lecteurs débutants en folio cadet.


Ci-dessous trois albums également de grande qualité, du côté du texte comme de l’univers graphique car les illustrations de ces réécritures sont savoureuses et riches pour l’imagination. Les albums peuvent s’associer à un réseau dont l’objectif serait d’identifier les différences avec le conte.

Plusieurs versions adaptées, très partagées depuis des années, simplifient le conte en le raccourcissant de moitié, en faisant disparaitre les trois dernières confrontations du loup avec le cochon « survivant » et parfois en modifiant la fin. Si elles posent un problème pour la transmission du conte original, elles peuvent initier les plus petits à ce conte puis s’intégrer à un réseau comparatif.

Dans l’album écrit « d’après la tradition » par P. François pour les classiques du Père Castor, l’adaptation s’adresse aux plus jeunes, avec les illustrations de Gerda Müller qui réunissent, comme c’est toujours le cas, le charme et l’efficacité pour le sens. Les trois cochons survivent mais la fin de cette version achève le loup dans la marmite « Cuit ! Bouilli ! Fini le loup ! » , ceci dit, rien dans le texte ou l’image ne dit qu’il est mangé.  

C’est également une trame simplifiée que propose Rascal pour une version graphique très puissante dans sa simplicité et son audace avec les symboles choisi et la représentation par le mot écrit du loup. Mais le fond du conte est intact car les deux premiers cochons sont mangés, comme il est essentiel qu’ils le soient, puisqu’ils n’ont pas montré les qualités d’ingéniosité, de persévérance ni de prudence de leur frère. Et le loup finit mangé aussi !

J. Claverie, Mijade, 2016 [Nord-Sud 1990]

Dans la réécriture de Jean Claverie, dont l’illustration, avec les contrastes lumineux de son aquarelle, apporte une grande fraicheur à la confrontation des cochons avec le loup, les deux premiers frères ne sont pas dévorés. Et l’auteur sauve le loup qui fuit « brûlé, ébouillanté, pelé » mais n’est pas mangé. Donc cet album pose un problème en lecture seule et isolée, mais en réseau , il a bien sa place pour une comparaison des versions.

1 Julia Chausson, Les trois petits cochons, A pas de loups, 2021
2 Etienne Delessert, Grand méchant, Gallimard jeunesse, 2008

3 Dans cet album de Didier Jeunesse, très connu par les médiateurs, c’est une  source orale du Pas de Calais sur laquelle s’appuie Coline Promeyrat. Comme dans les autres albums de la collection « À petits petons », le texte est travaillé typographiquement pour rythmer la lecture et accentuer les caractéristiques orales, jouant en harmonie de couleurs avec les illustrations. Pour cette variante, Joëlle Jolivet a créé une iconographie  à partir de gravures qui apportent elles aussi un grand dynamisme aux doubles pages, grâce aux compositions très variées. Le loup à la gueule dentue très archétypale, intervient dans un univers saturé de tons doux et sucrés : son corps noir semble s’agiter dans les dernières pages, se tordant pour menacer et rugir qu’il « souffle », « crache » ou « pète ». Les pourceaux « dodus » offrent leurs rondeurs roses à cet album très gai, porté par une structure de récit simple dans laquelle le pourceau survivant «  a laissé cuire le loup jusqu’au matin, puis il l’a mangé. Bien fait ! »

2 : Étienne Delessert modifie le système des personnages du conte original : il focalise son récit sur le loup, d’où le choix du titre Grand méchant, et conçoit une action solidaire des animaux de la vallée au côté des cochons qui survivent tous trois. À l’initiative de deux chats qui décident de leur apporter une aide ingénieuse, une troupe d’animaux variés rend fou le prédateur. En cela il reprend une des caractéristiques des versions orales, dans lesquelles les animaux varient. Cela donne lieu à trois constructions collectives de maisons dans une fantaisie visuelle réjouissante. Mais l’auteur de cet album clôt l’histoire avec la fin « cosmique » du Grand Méchant ; après être tombé « droit dans un feu d’enfer » il est envoyé « en fumée dans le ciel », où il poursuit sa course « en poussière d’étoiles ». Cette fin en ascension finale du loup est très originale car, s’il n’est pas mangé, il disparait dans une métamorphose.

Propositions pour la médiation

Le réseau de lecture s’effectue à partir de trois albums, dont au moins un récit transmet une trame complète du conte original. Donc à partir de la sélection de quelques-uns des albums cités précédemment, en fonction de l’âge des lecteurs et de leur culture (à partir de la grande section de maternelle et jusqu’au cycle 3), une séquence peut intégrer des temps qui s’attachent aux illustrations pour mieux revenir sur le sens du conte et, dans le cas présent, aussi sur les formes différentes qu’en présentent les albums. Une fois les lectures effectuées, la mise en réseaux des albums sur les points communs et différences sera verbalisée, en relevant les traces des remarques. Afin de conserver une mémoire du réseau de livres lus avec une attention aux images, quelques idées, à partir de quelques livres choisis :

Pour la trame d’ensemble :

De nombreuses pratiques de classes existent déjà pour la maternelle ou le début du cycle 2 – avec des images, des modèles réduits de maisons- afin de faire comprendre ce conte à partir de rappels de récits, mais également pour le mémoriser. Donc, de façon générale, au cours des lectures, sélectionner des pages illustrées représentatives de la trame du conte. Puis élaborer une série séquentielle en images qui serve d’appui pour récapituler l’histoire et la reformuler. Une sélection de pages de qualité fournit alors des points d’appui solides pour cette mise en mémoire au service de la culture littéraire.

NB Toutes les couvertures des albums du réseau travaillé sont présentes mais seulement avec quelques pages des différents livres pour constituer une séquence visuelle « mémoire ». Le but est la verbalisation, en rappel du récit, à partir des pages illustrées du réseau, et non sa lecture.

Une proposition en exemple : l’idée est de choisir des pages avec les jeunes lecteurs pour reconstituer le conte en empruntant aux différentes versions lues. Donc au final le choix de pages venant de versions différentes permet de construire une séquence visuelle de la trame du conte qui correspond au réseau. Pour que cela ne soit pas trop long, le médiateur peut avoir commencé la sélection et peut demander aux enfants de la compléter.

Pour des passages-clés :

Les épisodes du conte, avec les maisons de paille, de bois et de briques, qui présentent trois fois le loup soufflant successivement aux portes, donnent lieu à de nombreuses images emblématiques. C’est aussi le cas de la fin avec la disparition du loup.

Comparer les illustrations d’une des étapes du conte 1 : la destruction de la cabane en bois et la dévoration du deuxième cochon.

Comparer les illustrations d’une des étapes du conte 2 : la fin du conte.

1 Les illustrations de Leslie Brooke (créées en 1862) offrent trois images à savourer pour cette fin. Tout d’abord, le loup chute tête première dans une marmite fumante, au dessus d’une flambée, et le cochon qui en soulève prestement le couvercle, s’en protège tout en donnant accès. Ensuite, il est vu de dos attablé avec nappe et couverts ; le lecteur peut ainsi deviner son repas quand il mange « le loup bouilli à son dîner ». Et une dernière image montre le cochon fumant tranquillement, face à la cheminée où trônent les portraits de ses frères défunts. Au sol, sous le fauteuil la peau du loup.

3 Pour la fin de son album, Rascal, toujours très synthétique dans son récit, montre en deux doubles pages comment le loup est conduit vers sa fin : la chute fatale est dynamisée par quelques traces de suie dans un conduit noir, au dessus d’un chaudron de même couleur. Et au final, c’est dans le ventre rouge du dernier cochon qu’il est « lu ».


Les très petits cochons de Martine Camillieri et Angélique Villeneuve, Seuil jeunesse, 2013

Petit ajout : parmi les multiples variantes, Les très petits cochons, paru chez Seuil, propose un récit loufoque à partir d’une variante « alimentaire » assez drôle : cette réécriture préserve les trois cochons de la dévoration mais non le loup, qui finit mangé dans un fondant au chocolat. Le thème de la nourriture et de l’appétit étant central pour le conte de référence, ces symboles sont préservés ici. Mais la plus grande originalité vient de l’univers visuel, avec des photographies qui semblent prises au cours d’un jeu. Les scènes sont en effet créées à partir du bric-à-brac de la chambre d’enfant et de la cuisine à l’heure du goûter. Le texte est réécrit pour jouer avec ce bricolage ludique : les maisons sont bâties en pailles (à boire), en toasts ou en sucre… Une fantaisie qui sauve les deux premiers cochons de la sanction morale initiale et dont la convention explicite est celle de la fiction comme un jeu ! Dans ce cas, il s’agirait peut-être d’une invitation à créer sa propre variante…