Plusieurs types de création en fonction des projets de livres d’images :
- Les illustrateurs créent des images pour accompagner, interpréter le texte d’un écrivain.
- Ces auteurs graphiques peuvent aussi parfois créer des récits en images, sans texte.
- Les auteurs-illustrateurs, artistes de l’image et écrivains, conçoivent une articulation entre les deux instances, images et texte comme un tout.
Du côté de la création
Avec les propos de Daniel Maja, Claude Lapointe sur la création d’images pour les livres avec aussi ceux de Jean Claverie, Elzbieta, Mélanie Rutten, Étienne Delessert, Quentin Blake, Maurice Sendak, Marie Wabbes, Peter Sis, Olivier Douzou et Georges Lemoine.
Georges Lemoine, le plus souvent illustrateur de textes d’écrivains, a aussi endossé régulièrement le rôle d’auteur-illustrateur comme pour l’album Intrépides Petits Voyageurs.

Rascal qui a longtemps écrit en laissant l’illustration de ses livres à des artistes, crée depuis 2002 des albums en tant qu’auteur graphique, avec son texte, celui d’autres auteurs ou sans. Voir sa bibliographie ici
Daniel Maja
Illustrateur pour l’édition et la presse, directeur artistique, formateur d’illustrateurs et auteur de Illustrateur jeunesse, édition du sorbier, 2004.
Extraits du chapitre « Le rapport au texte »
Au cœur du métier d’illustrateur, il y a ce rapport étrange : le texte et l’image se trouvent dans une tension mouvante, difficile à élucider, à qualifier. Rapport-accordéon avec deux pôles, dont la distance fluctue : magnétisme.
Je m’explique : illustrer, ce n’est pas mettre du visible sur du conceptuel ni habiller du virtuel, c’est montrer “ quelque chose » de plus ou moins proche de ce qui est dit ; c’est faire une variation sur un thème, de la commedia dell’arte sur un canevas. C’est s’éloigner du dire pour exprimer autre chose, tout lui restant fidèle ; c’est à la fois du quantique et de la dialectique, qui fuit entre les doigts dès qu’on veut le saisir. […]
Quelles que soient les métaphores utilisées pour définir le texte, il est toujours question de « distance ». La métaphore du tissage en atteste : la trame du texte et celle de l’image sont intrinsèquement liées ; mais des tissus peuvent différents par leurs mailles, serrées ou lâches, par leur mode de tissage, par la variation de leurs trames, des jours, des broderies, du dense, de l’épais, du serré, de la gaze… Ou bien la métaphore de la composition mélodique : avec des hauteurs de sons, des modulations, des quarts de ton, des tessitures ; toujours des distances. Si l’on a du mal à décrire le phénomène, en revanche, on perçoit immédiatement si ça sonne juste ou faux, si les accords sont bons, si l’illustration “ va ” avec le texte, ou si la colle ne prend pas. »
« Quand l’auteur est l’illustrateur :
Dans certains albums d’auteurs-illustrateurs, on sent que c’est le verbe, le sens, l’histoire qui entraîne. Dans d’autres, ce sont les images qui dirigent.
L’illustrateur fait l’expérience du mot, de ce qui est dit et ce qui est figuré, des écueils de la redondance, de la musique du verbe qu’il faut accorder à l’image. […] Ne pas trop dire, laisser suggérer ; ne pas trop illustrer ; laisser des blancs, de l’espace, des échappées ; trouver l’équilibre ; ajuster, nettoyer, épurer, raccourcir, se brider ; pas de règle… Un seul critère: le résultat, que ça “tienne que ça “ fonctionne ». […] Un bon album, c’est cela, ce mélange indissociable du fond et de la forme.

Quand l’illustrateur n’est pas l’auteur (du texte] :
Le texte étant donné, l’illustrateur est un des premiers lecteurs, mais un lecteur très particulier ; un lecteur-vampire, un lecteur prédateur, aux aguets. Il doit digérer le texte, le ruminer. ll pratique une lecture intensive, fait sien le texte.
Il y revient, le creuse, le possède, l’essore. Il attend que, du texte, poussent en lui des branches d’imaginaire.
Peut-être est-il même meilleur lecteur que l’auteur lui-même, qui est possédé par sa propre création, sans distance parfois –son texte lui colle encore à la cervelle, trop près des mots qu’il a modelés, ciselés. L’illustrateur va lui révéler d’autres mélodies, faire briller d’autres éclats, surgir d’autres sens…
Voir aussi son introduction dans le Guide de l’illustrateur, Revue des littératures du sud, 2003.
Quentin Blake
Illustrateur (ses illustrations accompagnent tous les récits de Roald Dahl) mais il est également auteur-illustrateur pour des albums avec ou sans texte.

Il se confie dans La vie de la page, Gallimard, 1995.
» La recherche de sujets intéressants à illustrer constitue un des grands plaisirs de l’artiste, mais celui-ci n’échappe pas à des responsabilités particulières, surtout lorsqu’il s’agit de travailler sur le texte d’un écrivain autre que lui-même. Lorsqu’il lit un manuscrit pour la première fois, l’illustrateur est à la recherche de scènes importantes, des meilleurs moments à illustrer.
« Un autre aspect de la collaboration avec l’auteur et avec le texte est celui de la représentation des personnages du livre. C’est un sujet délicat, car nous avons tous plus ou moins notre conception visuelle personnelle de ce que nous lisons. L’un des avantages du dessin, dépourvu de l’authenticité documentaire de la photographie, c’est qu’il laisse au lecteur une certaine latitude à son imagination : la faculté de jouer entre le texte et les images. »
« Il est impossible de se lancer dans un album, qu’on soit ou non l’auteur du texte, sans en établir au préalable un plan détaillé. Avec un livre que j’ai écrit, ce chemin de fer s’opère d’emblée, si bien que le tout tient aisément dans les trente-deux pages dont se compose normalement un album. mes chemins de fer peuvent être minuscules, et incompréhensibles à tout autre que moi, mais ils donnent une idée non seulement du contenu du livre, mais aussi de l’ordre des dessins au long des pages. »

Marie Wabbes
Auteure-illustratrice (pour les plus petits)
« Au fil de la lecture, l’enfant garde dans l’œil l’image qui se trouve sur la page qu’il vient de tourner. C’est de l’harmonie de la succession des images que nait le plaisir du lecteur. Un examen très attentif de l’enchainement des images par rapport au texte tel qu’il apparait dans le chemin de fer, permet d’apprécier cette harmonie et de passer à la suite du travail. » Guide pratique de l’illustrateur, 2003

Elzbieta
Auteure-illustratrice, écrivaine
« Quelque fois l’image que je préfère d’un album est sa page de garde. J’aime que chacun de mes albums fasse visuellement un tout, que chacune de ses composantes participe à la création d’un climat. Que l’ensemble d’un livre fasse, jusque dans ces moindres recoins, globalement image. »

« D’ailleurs mes images précèdent fréquemment mes textes, c’est le cas notamment pour la totalité des histoires dans le Grimoire de sorcière et Le petit navigateur illustré. Sinon, la plupart du temps, textes et images sont si intimement liés dans leur progression que ce que je cherche à dire émerge, y compris pour moi-même qui tâtonne dans une étrange ignorance de mes objectifs et de ma destination, de leur intime relation. » L’enfance de l’art, éditions du Rouergue, 1997.
Georges Lemoine
Au sujet de l’illustration de Vendredi et la vie sauvage

G. Lemoine « Comme souvent, je suis rentré en relation avec le récit, ses péripéties, par plusieurs lectures attentives, puis j’ai sélectionné des passages qui m’offraient les meilleures possibilités d’illustration, sans avoir recours à la moindre documentation. Les volumes « Folio junior » étaient tous illustrés et reproduits en noir et blanc, c’est encore le cas, cela convenait à ma personnalité de dessinateur à l’aise avec cette technique de dessin à la mine de plomb. Et Pierre Marchand qui n’intervenait pas laissait les illustrateurs entièrement libres : cette liberté favorisait l’initiative artistique, l’inventivité. » in« Entretien avec l’illustrateur Georges Lemoine »a Michel Tournier, La réception d’une œuvre en France et à l’étranger, PUR, 2013.
Claude Lapointe
Illustrateur et formateur d’illustrateurs

« L’illustration est un art à part entière, un art narratif, un art de création de fiction,étroitement lié à l’expression écrite, dont la démarche est celle d’un metteur en scène d’images fixes très voisine de la mise en scène de cinéma ou de théâtre, usant de toutes les techniques graphiques pour la représentation en deux dimensions et pour la reproduction. » Texte et image, amour et haine » Argos hors série (Printemps 1997)
Jean Claverie
Illustrateur, auteur-illustrateur, formateur

Dans un entretien filmé pour parler de Little Lou : « J’aime travailler avec des traits donc il faut une technique qui ne cache pas [… ) quelque chose de fluide, c’est pourquoi je me sers de pastels, d’aquarelles. Cela ne fige pas le dessin qui reste un peu « vivant »; Je trouve que le dessin ressemble à l’écriture, cela m’intéresse. »
« Allier le texte avec des images, c’est tellement de difficultés… C’est un petit spectacle en réduction, c’est un petit bout de théâtre. » (Jean Claverie, Le balcon, C.Jaget, 26.01.91, 6mn53, INA)
Étienne Delessert
Graphiste, illustrateur et auteur-illustrateur, responsable de collections, éditeur, …
« Sage comme une image ? »

« Je suis l’auteur de quarante livres [en 1984] ; l’auteur, quand bien même je n’en fus souvent que l’illustrateur, car je n’aime de dessin dans un livre que celui qui conte une histoire, proche du texte qui l’a inspiré, mais qui l’enrobe et le dépasse. Il n’est pas difficile de « bien dessiner », et trop de livres m’ennuient, dont la surface brille de mille feux.
« J’ai souvent parlé de mise en scène : il est important que chaque détail soit évident, pris en lui-même ; c’est la juxtaposition des détails, leur justesse d’expression, la tension entre les personnages et le décor qui permettent une lecture à plusieurs niveaux. Ainsi même les flous sont efficaces. L’adulte saisit l’image dans son ensemble avant de l’analyser, l’enfant part d’un détail et recompose le tout.[…]
Paris 1962. J’y suis graphiste, concepteur publicitaire et directeur artistique de magazines tout neufs. J’essayais de maîtriser les moyens de communiquer avec un large public. Premiers dessins. Publiés dans la presse et déjà le désir de raconter une histoire par une suite d’images. » L’image à la page, Gallimard, 1984.
Entretiens sur ricochet ici et là sur le site de J.Kotwika (pour Arts dessinés #4) car E.Delessert est à l’origine de la fondation Les maitres de l’imaginaire

Maurice Sendak
« Je n’ai pas de don conceptuel exceptionnel pour le dessin, ni d’aptitude sensationnelle pour l’écriture. Mon talent est une espèce de sens intuitif qu’on trouverait chez un musicien qui sait comment la musique doit sonner et où placer ses doigts. Mon talent, c’est de savoir faire un livre d’images. Savoir en trouver le bon rythme, la bonne allure. » « Entretien avec Maurice Sendak », Dossier Maurice Sendak, Revue des livres pour enfants n°232,2006.

Olivier Douzou
Ricochet – Il y aurait beaucoup à dire sur le rapport texte/image dans les albums du Rouergue. Pourquoi est-il si important selon vous?
Olivier Douzou – Il est important pour plusieurs raisons : d’abord le lecteur a été imaginé en apprentissage de la lecture, dans cette période où la lettre prend un sens (et un son) et dépasse sa valeur d’image… à l’âge où l’on commence à négliger ses crayons de couleur, mais où l’on a encore la curiosité devant une illustration. Donc ce public a été déterminant pour effacer cette frontière entre les deux outils de récit de l’album, deux moyens que j’ai toujours souhaité complémentaires : il fallait travailler à la gomme en jonglant avec chaque manière de raconter, ne laissant que le nécessaire, expressif et efficace. Le croisement visuel du texte et de l’image -ou un décalage entre les deux – a pu donner un peu de supplément…

On a jugé ces livres « graphiques », ce qui me gênait un peu car cela résumait et occultait un peu trop une exigence préalable dans la cohabitation des mots et des illustrations.
Mélanie Rutten
auteure-illustratrice
D’abord, je vais écrire toutes sortes de petites idées: ça peut être une émotion, un lieu, une bribe de dialogue… Le plus souvent, il y a un noyau qui part de l’émotion d’un personnage et, autour de ce dernier qui n’est pas encore très défini, je collectionne beaucoup d’images pour essayer de visualiser dans quel espace il va évoluer. Écrire un album, c’est comme créer un espace dans lequel on va pouvoir se promener et faire défiler l’histoire.
Qu’en est-il de l’atmosphère graphique?
Pour une nouvelle série, j’essaie de trouver une atmosphère graphique (couleurs vives, tranchées ou aquarelle?). J’essaie également de chercher la technique et les outils (plume ou pinceau?).
C’est vraiment le plaisir de tester, de jouer, de ne pas m’ennuyer. J’adore la phase de recherches. Je pourrais ne faire que ça!

Qu’avez-vous envie de transmettre à travers vos récits?
[…] Mais le plus important à mes yeux, c’est de laisser une zone de liberté au sein du texte et des images, une zone où le lecteur peut projeter son histoire à lui. Je propose donc des zones de mystères, des choses inexpliquées, car j’aime que les histoires soient aussi ouvertes que possible. Mes fins ne sont d’ailleurs pas vraiment des fins dans le sens où elles restent un peu suspendues.
Entretien avec l’artiste sur ricochet
Peter Sis
Quelle place accordez-vous à l’écriture dans les ouvrages où vous êtes à la fois l’auteur et l’illustrateur ?
« En réalité, je ne pense pas que je sache écrire ou qu’il est bon que le fasse. j’aimerais que mes livres(ou mes films) ne comportent que des images. l’histoire pourrait se lire de tant de manières différentes ! […] Il y aussi que je parle tchèque. J’ai tendance à être lyrique en tchèque, je peux exprimer toutes sortes de sentiments. Cela m’est impossible en anglais. C’est peut-être mieux ainsi, je laisse la transmission des sentiments à l’image, contraint que je suis à une verbalisation élémentaire. Dans Les trois clés d’or de Prague, j’ai pu me servir du texte, placé en face de l’image pour indiquer sommairement une interprétation possible de l’histoire. » Peter Sis ou l’imagier du temps, M. Host, Grasset,1996 (Propos recueillis par H. Zoughebi).

Cette page réunit des propos sur :
- Les caractéristiques et définitions de l’illustration, les contraintes, le travail avec l’éditeur et la conception globale du livre, la conception des livres illustrés, les repères et principes de les relations texte-images…
- Le livre d’images est donc aussi un sujet d’étude et de recherche avec Jeanine Despinette, Joelle Turin,Isabelle Nières-Chevrel sur les formes de l’album et sur Babar... Christian Bruel, Sophie Van der Linden, Janine Kotwika, Cécile Boulaire et Jean Perrot pour les enjeux esthétiques et imaginaires.
Du côté des spécialistes
« Dans le grand jeu de la création d’un livre, chaque illustrateur a à sa disposition tout le préalable technique et esthétique de la profession qu’il a pu acquérir. L’art pour lui est d’explorer jusqu’à l’extrême limite le champ des possibilités d’expression plastique ou graphique et de faire oublier le procédé et le processus de son travail au profit de la dynamique du jeu de communication à établir avec son lecteur. L’image de l’album – quel que soit le public visé, enfant ou adulte- est ambiguë par la complexité des propositions mises en jeu par les créateurs. Le rapport des marques graphiques et des couleurs juxtaposées à un texte dans un espace défini (les pages d’un livre) est établi selon une prise de possession de la surface du papier et selon un dynamisme du trait propre au tempérament, à la culture et au talent technique de chaque artiste. » Jeanine Despinette, « Du point à la ligne », Jeux graphiques dans l’album pour la jeunesse, CRDP, Université Paris Nord, 1991
Dans son introduction, Joëlle Turin pose d’emblée que dans les livres pour la jeunesse qui l’intéresse : « Le texte et l’image y jouent des rôles équivalents et pourtant différents. Ils se font complices, collaborent, se contredisent sans se perdre jamais de vue. Chacun garde son visage propre, son autonomie, sa spécificité. Le texte et l’image constituent chacun de leur côté un langage à part entière : le premier dans ses finalités narratives, descriptives, ses règles logiques, mais aussi sa liberté poétique ; et la seconde dans son impact visuel, ses qualités suggestives, sa force de sensualité. L’image, longtemps «servante» du texte, ne l’est plus. Elle n’est pas uniquement là pour l’expliquer ou l’éclairer, mais elle a sa propre existence, permettant à l’œil de tracer des chemins pour l’intelligence. La synthèse de ces deux langages, voulue par les artistes, donne à l’album toute sa richesse. Certains livres se montrent plus créatifs que d’autres. Ils ne s’embarrassent pas d”intentions pédagogiques explicites, de principes éducatifs affirmés et trop évidents, de propos lénifiants censés protéger le jeune lecteur de tout traumatisme. Ils ne sombrent pas dans une trop grande simplicité, enfreignent les normes du «joli ›› et du « reconnaissable ›› qui régissent trop souvent la production éditoriale. Ils laissent la place à la recherche et à la création libre. J. Turin, Ces livres qui font grandir les enfants, Didier Jeunesse, 2008.
Isabelle Nières-Chevrel caractérise les albums : « La très grande majorité des albums repose sur la primauté d’une narration portée par un texte. Encore convient-il d’établir une distinction entre trois types de textes. On trouve parmi les albums pour enfants des textes qui sont autonomes, autosuffisants et antérieurs à toute mise en images. C’est le cas des contes traditionnels ou lettrés. L’illustration y ajoute, dans le meilleur des cas, la lecture interprétative.[…] D’autres textes ont, en revanche, été écrits dans la perspective d’une collaboration avec un illustrateur. Tel est le cas pour la quasi-totalité des « Albums du Père Castor ». […] Enfin, de plus en plus d’albums sont, au XXe siècle, Ie fait d’un seul et même créateur, qui signe le texte et les images. En position d’auteur -illustrateur, celui-ci répartit, de manière inégalement consciente, les effets de sens entre son texte et ses images, sans qu’il soit toujours possible de déterminer ce qui fut premier. » ALBUM dans le Dictionnaire du livre de jeunesse, éd. du Cercle de la librairie, 2013
Pour Christian Bruel, dans l’album « textes et images se trouvent séparés du point de vue de la topologie mais unis dans une dépendance créatrice de sens et d’affect, dépendance qui tend à n’être plus la soumission d’une instance à l’autre, mais une dynamique féconde. » C. Bruel Anthony Browne, 2001.
« L’internationalisation de la culture résultant des coéditions et coproductions ou des traductions de plus en plus nombreuses contribue, en fait, à créer une prodigieuse diversité. Et celle-ci exploite toutes les innovations, tous les styles, récupère toutes les découvertes, ne néglige pas, en un mot, l’illustration ancienne, créant ainsi d’habiles effets de surprises : Benjamin Rabier côtoie Maurice Sendak ou Walt Disney […]. Il y en a pour tous les goûts, pour l’amateur de Riou illustrant Jules Verne, comme pour celui de Georges Lemoine donnant forme graphique aux fantasmes de Nadine Garrel ou de Le Clézio. Bref l’édition pour enfants de nos jours offre un résumé de l’histoire de l’art mondial. » […] « L’illustration pour la jeunesse, on le constate, se partage autant les écoles esthétiques que les visions de l’enfance. » Jean Perrot, Du jeu des enfants et des livres, éd. du Cercle de la librairie, 1987.
« Jean de Brunhoff est volontiers tenu pour l’inventeur de « album moderne », cette famille d’albums qui jouent des interactions du texte et de l’image dans l’espace « multi-surfaces » du livre.« […] Au sujet des auteurs-illustrateurs dès le début du XXè. siècle « Devoir travailler ensemble le texte et l’image conduit à développer une attention aigüe aux contraintes et aux ressources respectives de ce qui est destiné à être lu et de ce qui est destiné à être vu, à réfléchir à la disposition du texte et de l’image dans l’espace de la page ou de la double-page, à comprendre que la page de droite peut avoir une fonction de cache, dissimulant une information que le lecteur découvrira lorsqu’il tournera la page, etc. » (introduction)
» Les albums de Jean de Brunhoff offrent un exemple remarquable de ce qui fonde la puissance de l’album narratif » […] « Jean de Brunhoff apporte à l’album pour enfants plus de nouvelles thématiques et un nouveau type de personnages : il en révolutionne l’esthétique. il trouve des solutions aux problèmes de narrativité iconotextuelle sur lesquels avaient buté Boutet de Monvel, puis Béatrix Potter. il invente le narratif texte-images. » I. Nières-Chevrel, Au pays de Babar, les albums de Jean de Brunhoff, PUR, 2017.
« Si de 1968 à 2000 il est évident que le paysage de l’album pour enfants a connu un bouleversement sans précédent, ce qui frappe surtout c’est bien à quel point le regard porté sur ces images a lui aussi changé, avec une amplitude qui peut donner le vertige. On en arrive ainsi à juger «magnifique» un album dont les images auraient effrayé les bibliothécaires de 1968. […] Fort heureusement, le livre pour enfants n’est pas seulement produit, il est aussi parfois œuvre et, à ce titre, susceptible d’échapper partiellement au déterminisme socio-économique. Si en 1993 un renouvellement graphique était ardemment souhaité, rendant sans doute les prescripteurs particulièrement réceptifs à tout changement dans l’esthétique visuelle, cela n’enlève rien au fait que la publication de Jojo la mâche fut un événement unique dont les conséquences allaient être enthousiasmantes. Enthousiasmantes du moins pour qui souhaite que l’album d’images arpente avec toujours plus de vigueur l’espace du dicible, et qu’il le fasse avec une inventivité graphique et plastique au moins équivalente à son exigence poétique, quitte à risquer un temps d’être qualifié de «moche». » Cécile Boulaire, « Le beau et le moche dans l’album pour enfants, Littérature de jeunesse, incertaines frontières, Colloque de Cerisy, Gallimard Jeunesse, 2005.
« La contradiction entre texte et image rend le lecteur complice. ce dernier rétablit la « vérité » qui est d’ailleurs[…] presque toujours portée par l’image, peut-être parce que le créateur recherche la complicité du lecteur d’images (et donc souvent de l’enfant non-lecteur) plutôt que celle du lecteur de texte (cette fois-ci bien souvent l’adulte). Après les théories envisageant le livre comme une proposition ouverte (réf. U. Eco, Lector in fabula, 1985), on assiste […] à la mise en œuvre effective de la coopération du lecteur. » Sophie Van der Linden, Lire l’album, L’atelier du poisson soluble, 2006.
Janine Kotwika (commissaire de l’exposition du CRILJ, Dans les coulisses de l’album…) en formule les objectifs : « L’une des intentions qui a présidé aux choix a été de montrer les multiples facettes du métier d’illustrateur et les mutations qu’il a connues dans ces cinq décennies, en raison de facteurs sociétaux, commerciaux et technologiques. Est en outre mise en lumière l’opulente variété des techniques d’illustration, des outils traditionnels et gravures jusqu’à la révolution informatique. »

« Qu’il s’agisse d’options artistiques, littéraires, pédagogiques, idéologiques, qu’il s’agisse d’aspects matériels, format, typo, impression, reliure, choix du papier…le rôle de l’éditeur, indispensable maillon entre les créateurs et le public, s’avère des plus importants. » Michel Defourny, Dans les coulisses…
« Qui prétendra résister aux fastes de l’image aujourd’hui ? Une image qui prolifère, sollicite sans cesse. Une image envoûtante. L’album pour enfants n’est pas le dernier à témoigner de cette mobilisation générale visant à multiplier les plaisirs de l’œil : les teintes les plus vives, les recherches les plus délicates en matière de mise en page ou de format, le brillant et le glacé des couvertures, tout est là pour arrêter, retenir, captiver. […] Elle doit, dans cet environnement, égaler les séductions du film animé. Aussi est-elle devenue sans conteste un art à part entière : l’album pour enfants de nos jours s’impose comme l’un des lieux les plus actifs de l’imaginaire moderne. Fantaisie et sérieux s’y conjuguent pour divertir -et aussi éduquer- les lecteurs. » Jean Perrot « Les miroirs de l’enfance », Du jeu des enfants et des livres, cercle de la librairie, 1987.
Une création graphique sous contraintes
« Le contexte éditorial détermine un grand nombre de contraintes liées aux caractéristiques des collections et aux techniques d’impression : l’analyse de ces aspects qui influencent sur de nombreux plans la création des illustrations, permet de comprendre quels éléments, autres que les textes mêmes, interviennent dans le travail de l’illustrateur.[…] Les graphistes et illustrateurs sont nourris des mouvements artistiques contemporains et des évolutions concernant le domaine graphique. De plus leur rapport à l’image est fondé sur les objectifs qui régissent la production d’images de communication pour la publicité et la presse : agir sur le public par le visuel. Claude Cossette définit l’action du graphiste ainsi : « Le graphiste, lui, agit comme un haut-parleur : il sait mettre en forme le message de son client de telle sorte qu’il soit parfaitement recevable et compréhensible par les destinataires visés. » Les principes de lisibilité et de séduction visuelle orientent la créativité des graphistes du livre comme dans le cas de l’affiche et du message publicitaire.
Les contraintes économiques qui président à la fabrication d’un livre orientent les choix créatifs de l’illustrateur car la conception des dessins diffère selon qu’il lui est possible d’accéder à une impression de plus de quatre couleurs, ce qui est rare, que des zones vernies ou mates sont prévues sur un dessin de couverture, que le prix du livre prévu par l’éditeur permet l’utilisation d’un fer à dorer ou que les vignettes sont à concevoir en noir et blanc dans un petit format …
Dans le cas des éditions de poche, il s’agit de placer cette exigence de qualité et de prestige au niveau de l’édition de masse, donc de se plier à un système de contraintes de fabrication guidées par des impératifs économiques.
Le prix du papier est également essentiel : ce n’est pas la même chose de pouvoir envisager une illustration sur un fonds ivoire, un papier à grain, ou de composer une planche pour l’impression sur un papier de faible qualité. Les collages ou les travaux nécessitant des effets de matière doivent être reproduits par « Ekta », c’est à dire photographiés avant d’être intégrés à la page. Le « métier » de l’illustrateur est de comprendre ce qui est possible dans le cadre des contraintes fixées et de produire, pour chaque collection, la meilleure illustration possible.
Le rapport aux contraintes de l’édition est donc une des clés du savoir-faire de l’illustrateur. Mais la maîtrise des contraintes matérielles et techniques, si elles déterminent une part importante de la création, n’intervient que dans la mesure où elle participe à la construction d’images qui font sens. » (extraits Georges Lemoine, illustrateur au XXe s. 2005.
Un interlocuteur essentiel : l’éditeur
« Le rôle fondamental de l’éditeur, ou du responsable de collection, dans l’élaboration du livre illustré semble se situer dans une appréhension esthétique et commerciale de ses collections. Mais la mise en œuvre de sa politique éditoriale passe par une excellente connaissance des capacités des artistes et des auteurs avec lesquels il travaille. Cette conception envisage le texte et l’image dans un rapport graphique étroit qui peut être appréhendé par le lecteur dans une même lecture. Les éditeurs conçoivent donc le livre comme un « tout » graphique.
De plus si l’unité de base est la double page, la conception visuelle de l’objet s’élabore dans la succession de pages de la première à la quatrième de couverture. Non seulement, l’éditeur conçoit un objet dont les caractéristiques de collection vont être autant de contraintes pour les créateurs, mais il doit trouver des combinaisons harmonieuses entre deux univers créatifs fondés sur des codes sémiotiques différents : une dialectique doit s’élaborer entre image et texte. L’éditeur se trouve être le pivot du trio créatif de l’élaboration des livres, il conçoit les « mariages » créatifs entre textes et illustrateurs, sa compréhension du texte doit s’approcher de celle de l’illustrateur pour en apprécier l’illustration.
L’éditeur doit en fait résoudre un paradoxe, concevoir un objet de grande qualité avec des moyens économiques réduits et, de plus dans le cas du livre illustré, il doit élaborer un objet cohérent par la combinaison de deux univers créatifs. George Jan dit de Pierre Marchand : « Sans intervenir en quoi que ce soit dans notre travail, il savait tirer le meilleur de nous-mêmes et je lui dois d’avoir appris que la clarté, la simplicité, ne sont jamais des réductions « pour les enfants » mais, le moteur de proposition neuve pour la raison, comme pour l’imaginaire. »
Le trio classique de l’éditeur, de l’auteur et de l’illustrateur quand l’auteur n’illustre pas ses textes lui-même, est presque systématiquement complété dans les maisons d’édition contemporaines par un directeur artistique.
(extraits Georges Lemoine, illustrateur au XXe s. 2005)
« La contrainte est nécessaire, confirme l’éditeur Massin, car elle oblige souvent l’illustrateur à se dépasser pour franchir les obstacles qui lui sont tendus. Quelle serait la beauté des vers de Racine ou de Valéry, si les auteurs n’avaient eu la double contrainte de la rime et de la métrique. »
L’illustrateur et les espaces du livre
L’illustrateur doit composer un ensemble harmonieux et cohérent sur le plan visuel en maîtrisant l’équilibre de l’image et du texte dans l’espace du livre. Les contraintes éditoriales des supports sont des appuis pour la création dans la mesure où l’illustrateur gère les espaces comme des unités pouvant faire sens dans leur association avec le texte. Le contrat créatif établi sur les contraintes, porte donc implicitement sur les jeux de mise en pages qui s’organisent autour du texte, à partir d’une conception globale du livre.
Dans un espace qui a été défini par les normes éditoriales, l’illustrateur a la liberté d’intervenir dans la mise en espace de ses images en choisissant leur format et leur délimitation. L’utilisation d’un cadre tracé, voire orné, ou même d’une marge blanche délimite l’espace de l’image et intervient en organisant la page de façon signifiante autour de ruptures. Le fait d’utiliser des cadres, de construire une illustration en pleine page, d’intégrer le texte à l’image (ou l’inverse) produit un effet sur la perception de l’ensemble texte-image, en créant des relations entre le fond et la forme – le support de la page et l’image -, entre la page et les blocs imprimés.
La page est donc utilisée tant comme ouverte sur l’extérieur quand l’illustration est pleine page, que structurée par des cadres qui délimitent des zones signifiantes de texte et d’images. Si la mise en page du livre se construit dans une « succession dynamique »qui est régie par « un principe du déroulement des pages comme un film », ce défilement est contrôlable par le lecteur et interrompu par la lecture du texte. Il est réducteur de dire que l’illustrateur emploie des procédés cinématographiques mais l’analogie permet de décrire les effets de montage qui réalisent des ruptures et avec des effets de cadrage varient les points de vue. Le graphiste utilise donc des « recadrages, des effets macro, des détournements, des ruptures d’échelles, et différents plans. pour dynamiser le récit »[1]
Le travail spécifique sur la double page est influencé par la prise en compte des éléments distinctifs du support : les bords de la page et la jonction de la reliure du livre. Parfois une mise en page plus classique distribue les zones de dessin et de texte sur la surface en répartissant les éléments de part et d’autres de la pliure centrale. Mais il arrive que l’illustration gomme la zone de pliure, propre au livre, en composant l’illustration dans une continuité de formes et de couleurs sur la totalité de la double page.
Sur l’ensemble des pages, que permet de visualiser le chemin de fer, l’illustrateur compose un parcours de lecture rythmé -régulier ou structuré par des ruptures- jouant sur les formes possibles du livre pour servir le fond, le sens, le contenu du livre.(extraits et d’après Georges Lemoine, illustrateur au XXe s. 2005)
Et les couvertures ?
Georges Lemoine comme de nombreux graphistes et illustrateurs crée des couvertures de livres, celles de ses livres et d’autres. La construction de cet espace graphique à fonction commerciale demande un savoir-faire graphique et une capacité à extraire une idée du texte qui puisse séduire le lecteur en puissance. La création d’une couverture diffère bien évidemment de beaucoup si celui qui la crée est l’auteur des illustrations du livre. Au sujet des couvertures de Lemoine…
Voir la page sur les couvertures dans les situations de médiation de la lecture ici