Pourquoi poser cette question ?
En tant que formatrice d’enseignants du premier degré, l’observation de séances consacrant une étape initiale conséquente à la couverture du livre avant la lecture m’a amenée à m’interroger sur ce rituel de la lecture scolaire. Parfois la lecture du livre est différée de beaucoup pour discuter ce que la couverture montre et dit, alors qu’elle ne le mérite pas forcément. Les images et les textes de quatrième de couverture ne sont pas toujours intéressants au point d’occuper de si longs moments qui doivent être stratégiques : l’enjeu est important puisqu’il s’agit de donner autant envie de lire que de poser des repères qui aident à la compréhension par anticipation. Accorder un temps pour commenter le titre et l’image est considéré comme un passage obligé, voire une condition pour nouer un pacte de lecture et pour orienter les attentes vers le récit, mais est-ce justifié pour chaque livre et surtout pour chaque couverture ? je ne le crois pas. S’il semble logique de s’intéresser à cet espace d’invitation à lire, comme à tous les éléments proposés par les livres, sa place dans la médiation peut-elle varier ? Quelques repères… et quelques propositions (à partir d’exemples d’ouvrages « classiques » ou connus, et présents dans les écoles) avec des alternatives.
Au fait, à quoi sert une couverture ?
La couverture qui peut par analogie être comparée à une petite porte vers l’univers du livre et son contenu, est créée avant tout pour sa fonction commerciale. Dans l’édition, elle est conçue pour accrocher le regard -et l’intérêt- dans les rayons de la librairie, stimuler l’envie de le prendre en main puis séduire suffisamment pour l’acheter. Comme l’explique Massin, le choix de la couverture concerne le service commercial et l’éditeur ne considère pas forcément que l’auteur est le mieux placé pour la choisir, cela dépend des éditeurs, des collections… De plus en plus souvent, les représentants sont sollicités pour donner un avis sur l’efficacité d’une couverture et son choix fait l’objet d’essais et de discussions. Sa création n’est donc pas articulée systématiquement à la création des pages et elle est souvent le dernier élément déterminé dans la conception du livre. En fonction des collections, et de leur cahier des charges (format, logo, charte typographique et de couleurs), les couvertures des livres peuvent être l’objet d’importantes contraintes. Les éditeurs refusent régulièrement des projets de couvertures. Sur ce point voir ci-contre.
Une partie des éditeurs discutent et négocient la couverture avec les illustrateurs, c’est souvent le cas des éditeurs d’albums : elle est alors considérée comme partie intégrante de l’œuvre et ne bouge presque plus, elle peut être revue avec l’illustrateur quand la forme de la réédition change vers une autre taille, une reliure brochée… Un illustrateur peut aussi être sollicité pour créer une nouvelle image de couverture au moment d’une réédition.
Deux cas peuvent être identifiés dans les éditions de poche. Tout d’abord, le créateur du visuel de la couverture est l’auteur des illustrations du livre et il propose une image en cohérence, tirée des pages ou inédite. Dans l’autre cas, pour les documentaires ou les romans le plus souvent, l’image de couverture est commandée à un illustrateur qui n’intervient pas dans le livre.
En fait au cours des rééditions, la couverture est souvent modifiée. Dans les éditions en poche, les couvertures changent énormément au fil des années, sans doute parce que l’éditeur souhaite adapter l’accroche iconographique, typographique, au goût du moment mais aussi pour se distinguer de la masse des livres et surprendre le public… Sur ce point le livre est un objet commercial comme un autre.
Exemples : Verte, Les derniers géants et Vendredi ou la vie sauvage
Dans les rééditions, il peut arriver que la couverture soit demandée à un autre illustrateur que celui dont les images illustrent les pages intérieures. Il est important de l’identifier.
En situation de lecture, pour la médiation
L’activité sur la couverture n’est pas un passage obligé mais un des éléments du livre qui peut mériter une attention ciblée, ou pas. Comme les autres espaces du paratexte, avec les pages de titre et les pages de garde, la couverture peut réunir suffisamment d’éléments intéressants pour prendre un rôle dans la stratégie globale de lecture.
Remarques et propositions simples :
Pourquoi avant la lecture ?
Deux exemples : montrer avant de lire, mais sans commentaire ni question
La couverture n’a pas besoin de voler la vedette au contenu, à l’histoire… une invitation explicite avec une accroche graphique grâce aux caractéristiques d’une silhouette, d’un regard, d’une composition ou d’un mouvement peut être très efficace. Donc un doigt posé sur des indices, soulignant le titre qui est lu, montrant le personnage, une direction… cela suffit et laisser les commentaires fuser.
Exemple 1 Dans l’album de Chris Haughton, Un peu perdu, le regard de la chouette de couverture, associé au titre lu, suffit à accrocher l’attente émotionnelle et l’empathie pour la suivre. Dans l’album Le bonnet rouge de B. Weninger, l’image de couverture de John Rowe est composée pour engager le lecteur dans le même sens que le personnage, dans le sens de la lecture, vers l’ouverture du livre, plus de jeu ici que d’empathie. Ces couvertures posent ainsi dès le début une convention visuelle avec l’univers des albums. Ils s’adressent à des enfants non lecteurs, ce choix est logique et ne demande pas plus qu’une présentation initiale simple.


Exemple 2 : quelques minutes pour poser une convention
Quand la couverture du livre possède des qualités pour l’accroche et le questionnement mais surtout si elle apporte aussi quelques repères solides pour engager un pacte de lecture, quelques minutes peuvent y être consacrées pour prêter attention au titre en lien avec l’image et en parler.
Un pacte pour rire L’album installe directement son contrat avec le lecteur grâce au joli décalage entre le titre et l’image de couverture : la convention humoristique est posée, la lecture souriante peut commencer.
Et surtout, prévoir la couverture après la lecture…
Il me semble intéressant de revenir sur la couverture, le titre et l’illustration après la lecture pour récapituler la compréhension de ce qui a été lu, en réfléchir le sens et ouvrir l’interprétation.
Exemple 3 : Un bref temps avant de lire, un temps plus riche après !
La couverture de l’album Otto, autobiographie d’un ours en peluche de Tomi Ungerer, paru à L’école des loisirs en 1999, peut être regardée avant de lire l’album pour identifier le personnage avec son portrait et le nom du titre : son état d’usure et son expression peuvent bien sûr déjà faire l’objet de remarques sur de possibles péripéties… Mais c’est à la reprise de cette couverture après lecture qu’il serait intéressant de faire récapituler et commenter les différents stigmates de l’ours : tâches, coutures et cicatrices ont leur origine dans le récit.

Il sera également plus riche de revenir sur le terme « autobiographie » après avoir compris qui raconte et que ce récit est celui de sa vie. Pour cela la vignette de quatrième de couverture, un cul-de-lampe, peut confirmer la compréhension de cette dimension autobiographique tout en proposant un portrait moins tourmenté. Sur les deux images, le regard vers le lecteur est dense et l’ombre qui détache le personnage du fond souligne sa présence : Otto est un témoin.
Quelle que soit la situation de lecture (l’adulte lit ou les enfants lisent seuls), si l’observation d’une couverture a donné lieu à des hypothèses sur l’histoire, les remarques des lecteurs sont notées, sur une affiche par exemple, pour pouvoir y revenir en fin de lecture, voire en cours de lecture si on lit par fragments.
Exemple 4 : l’image avant, et reliée au titre une fois la lecture faite !
L’album de Alex Godard, Maman-dlo, paru chez Albin Michel Jeunesse en 1998 offre au premier regard une superbe image de couverture avec un cadre en coquillages qui, comme une fenêtre, s’ouvre sur le personnage et son attente face à l’horizon. Les éléments représentés font référence à la mer et aux Antilles, autant de repères pour ancrer de premières significations sur le récit, donc des hypothèses possibles…
Mais le lien avec le titre est opaque et même après la lecture, la légende antillaise de la « Maman-dlo » demande à être réfléchie pour son sens dans l’histoire où elle s’insère. Donc si l’image peut être interrogée en amont de la lecture son lien avec le titre gagnera à être explicité et discuté après.
Exemple 5 : la couverture après la lecture !
La couverture de l’album Okilélé de Claude Ponti paru à L’école des loisirs en 1993 est une véritable énigme avant la lecture. L’image propose dans son cadre la scénographie de l’album et montre une petite scène de théâtre avec fenêtre ; cet espace à la fois intérieur et extérieur est une sorte de synthèse narrative et symbolique du récit. Énumérer les éléments qui s’y accumulent n’apporte que peu d’intérêt avant la lecture… et le titre ne peut aider à s’orienter car il attise surtout la curiosité.
Il est donc préférable de passer rapidement sur cette étape avant de lire mais revenir sur le titre et l’image après avoir lu peut s’avérer très riche. Le titre peut être évidemment relié au héros, reconnu au centre de l’image entouré des personnages qui l’aident ou le freinent dans l’histoire. Le lecteur peut retrouver d’autres éléments-clés comme la corde qui joue plusieurs rôles dans le récit ainsi que son masque. Proposée au regard en demandant comment elle raconte l’histoire, l’image de couverture pourrait être un moyen de reformuler le récit.
Alternatives à la couverture pour une entrée dans la lecture
Il peut être utile et efficace de ritualiser l’entrée dans la lecture mais il peut aussi être intéressant de varier les plaisirs et, quand un livre le demande, ou le permet, de proposer un temps préparatoire à la compréhension à partir d’autres stratégie, d’autres supports.
- A partir d’un passage lu sans les images, pour mobiliser l’attente d’un album en imaginant. le passage doit aussi être clé, sur un personnage, un lieu, un élément important qui sera ainsi bien identifié au moment de la lecture.
- Si la couverture paraissait peu engageante, à partir d’une page choisie pour les repères qu’elle donne, notamment sur le problème posé au héros dans le récit.
- Il est bien sûr possible de montrer plusieurs doubles pages sélectionnées dans le livre et de lire une phrase ou deux… créant un peu l’effet d’une « bande annonce ». II existe d’ailleurs quelques vidéos d’éditeurs qui jouent ce rôle.
- De très bonnes idées sont proposées par les enseignantes dans cette ressource en ligne, avec des classes différentes, pour lire l’album de Natali Fortier : Banque de séquences didactiques de Canopé.
Côté fabrication
L’éditeur et graphiste Robert Massin qui a conçu, comme directeur artistique et responsable de collections, des milliers de couvertures (dont celles de la collection Folio) rappelle que la couverture est avant tout la partie commerciale du livre :
« Genèse d’une couverture
De l’idée qui vous vient et prend forme avec un croquis […] , en passant par les
pré-maquettes, les projets écartés pour des raisons diverses, les repentirs, les remises sur le métier, jusqu’à la
«finalisation» et la maquette définitive, que suivront enfin les différents stades de la fabrication: photogravure,
corrections, impression, etc. , la genèse d’une couverture est une entreprise passionnante à suivre, même si l’on
traverse des phases de découragement, de doute de soi-même, d’appréhension de se voir refuser un projet
auquel on tient, et de dépit parfois de n’avoir su convaincre.
Dans le meilleur des cas, au contraire, le créateur devient le spectateur de sa propre création.
[…]
Maquettes refusées
Allez donc savoir pourquoi tel projet de couverture n’a pas été retenu ! Et pourquoi celui dont on a fait choix
avait d’abord été rejeté ?
[…]
Traditionnellement, quatre partenaires sont concernés : le créateur trouve en face de lui l’éditeur, son service
commercial (disons, pour simplifier, les responsables de la diffusion), enfin l’auteur. En toute théorie, ce dernier
n’a pas son mot à dire, car la couverture d’un livre, juridiquement, appartient à l’éditeur, lequel se trouve donc être libre de sa présentation. Dans la pratique, il en va différemment : par courtoisie (c’est bien la moindre des choses), on montre le projet à l’auteur ; mais, de plus en plus souvent, l’éditeur ne le fait qu’après avoir choisi lui-même ; et, dans la plupart des cas, ce choix aura été fait après que les «commerciaux» auront donné leur avis, pour ne pas dire leur accord.
Il reste que l’auteur, dont on peut s’étonner qu’on tienne aussi peu compte de son point de vue, est à mon avis le plus mal placé pour savoir la présentation qu’il convient de donner à la couverture de son livre. Tant de paramètres lui échappent, qui n’ont rien à voir avec sa création propre, mais vont entrer en jeu pour que celle-ci, matérialisée sous la forme d’un parallélépipède rectangle de papier et d’encre, trouve l’audience de lecteurs anonymes ! » Massin, Imec, 1990.
Des sites parlent des couv.
- ici une histoire de couv.
- des repères et du lexique
- mots d’une créatrice
Quelques exemples de couvertures modifiées :
Pour le roman Verte de Marie Desplechin, succès scolaire et roman primé dès 1997, trois couvertures différentes dans la collection « neuf » de L’école des loisirs et une autre couverture pour l’adaptation BD pour « Rue de Sèvres ».
La première illustration de 1996 propose une image de sorcière reprise d’un personnage de Gaudelette pour Fluide glacial : une sorcière au costume archétypal dans une posture qui l’est peu. Cette image annonce une histoire de sorcières soit, mais décalée des stéréotypes. La promesse de la couverture n’est pas vraiment contestable mais s’est avérée peu séduisante avec des étudiants.
Les couvertures qui ont suivi privilégient l’héroïne enfantine et son point de vue sur le monde sorcier, avec un style graphique épuré et plus tonique. En 2012 Soledad Bravi donne à Verte une expression songeuse, tournant le dos aux éléments « sorciers » tracés en arrière-plan. L’illustratrice réalise les couvertures des suites également. En 2018, c’est la petite Verte malicieuse, imaginée par Magali le Huche, auteure graphique de la version en BD de 2017, qui apparait en couverture unifiant pour les lecteurs de ces années-là l’iconographie des différents livres sous ce titre. Et la couverture de la BD pour Rue de Sèvres présente de son côté les quatre narrateurs de ce roman polyphonique, avec un trait fantaisiste et des clins d’oeil aux signes « sorciers ».
Pour Les derniers géants de François Place, la couverture est modernisée tout en valorisant le style graphique de l’auteur-illustrateur. La première forme choisie, avec un dos toilé, rappelait le carnet de voyage du narrateur, en toute cohérence avec le récit. Puis l’illustration occupe ensuite totalement la couverture de 2008 pour un format souple.


La troisième illustration de couverture opte pour une présentation frontale, plus proche et plus directe car le lecteur est placé face au majestueux géant. Et le narrateur toujours à petite échelle, est perché sur le titre… Les caractéristiques physiques du géant et leurs liens avec celles des peuples océaniens est accentuée. Le trait de François Place, son art du détail, est bien plus visible sur ce fond ivoire.

Des couvertures différentes pour les éditions successives de Vendredi ou la vie sauvage de M. Tournier en folio junior chez Gallimard jeunesse. voir l’article à ce sujet sur le blog
Les deux premières sont celles de la collection Folio junior (n°445) avec la couverture au trait et à l’aquarelle de Georges Lemoine de l’édition originale de 1977 intégrant un ensemble d’illustrations dans les pages. Recadrée pour la réédition de 1988, elle existera 20 ans. Les rééditions suivantes conservent les illustrations de Lemoine dans les pages intérieures mais avec de nouvelles images en couverture sans cohérence graphique : une vision très réaliste d’un très jeune Vendredi par P-M. Valat en 1997 et une illustration peinte de J-C. Götting en 2012. Après les techniques, l’accroche a aussi changé, orientant le sens différemment : Robinson s’efface au profit de Vendredi… Et le choix de couleurs plus contrastées avec un bleu dense donne au ciel des îles une présence lumineuse soutenue. La référence à la différence remplace les symboles aériens de Tournier.
Sur la création de couvertures par Georges Lemoine, extrait de ma thèse