Des albums pour alimenter un peu la rêverie d’hiver, quand la neige manque

Ces trois livres bien différents -album féérique, recueil poétique et récit du quotidien- accordent une place centrale à la transformation merveilleuse de l’environnement familier par le froid et la neige, symbole d’une rêverie de la saison hivernale dont la matière invite à des jeux spécifiques.

Dans l’album d’Elsa Beskow, la saison des neiges est sous la protection de Oncle Givre et Roi Hiver qui laissent place en mars aux figures féminines du printemps.

Oncle Givre « un vieil homme tout blanc de la tête aux pieds » qui fait « briller si joliment toutes les choses ».

Le Roi Hiver « assis gravement sur son trône de glace », qui a l’air sévère mais quand il sourit ses yeux brillent « comme des aurores boréales ».

Mais dans les contes traditionnels, ce sont des femmes qui régissent le froid et l’hiver. Même si leurs pays sont décrits comme merveilleux, ces dames terrifient car elles emportent et enferment les enfants. Dame Holle séquestre les fillettes pour qu’elles tiennent sa maison en secouant « soigneusement l’édredon pour en faire voler les plumes, parce qu’alors, il neige sur le monde » (Frères Grimm, 1812). La Reine des neiges d’Andersen, au manteau « tissé de neige », dont le baiser « plus pétrifiant que le gel » provoque l’oubli, emporte le jeune Kay jusqu’à son château glacé (H-C. Andersen, 1844).

À l’opposé, dans son recueil poétique, Carl Norac imagine une joyeuse Madame Hiver qui a choisi « la belle période des fêtes » (p.11) et qui se voit présentée comme une généreuse conteuse d’histoires (p.26). Mais l’auteur fait varier le genre de la saison qui devient homme quand l’hiver ne met pas « son blanc manteau » (p.24) et plus loin marche sans s’arrêter avec sa canne de glace pour que les fleurs ne poussent pas (p.88). Dans Olaf et le pays du Roi Hiver, la lutte entre l’hiver et le printemps apparait tôt dans le récit dès la couche de neige installée : Oncle Givre veille à ce que la neige ne soit pas balayée trop tôt par la femme de ménage du printemps qu’il chasse sévèrement.

La figure emblématique de l’hiver la plus partagée aujourd’hui s’avère être le bonhomme de neige dont la bienveillance fut merveilleusement servie par l’album de Raymond Briggs en 1978 : il en fait un compagnon de jeu, qui s’envole avec un enfant au Pôle nord avant de fondre. Dans Fait d’Hiver de Geneviève Casterman qui construit son bref récit autour des envie de jeux des enfants, c’est bien « un bonhomme de neige géant » que rêve de faire Arthur. Et pour sa part, Carl Norac s’amuse avec l’archétype du bonhomme de neige, faisant varier son genre, son caractère et sa fragilité (p.14 ci dessus).

La représentation des scènes d’hiver régale les illustrateurs car elle donne l’occasion d’un jeu graphique avec les blancs. Les vertus de déréalisation de la neige, dont Gilbert Durand étudie les images poétiques, sont ainsi célébrées par les aquarelles d’Elsa Beskow, les grisés du crayon léger et vif de Geneviève Casterman ou les aplats de couleurs de Gerda Dendooven. Cette dernière habille les personnages de neige, de rouge et de bleu, pour célébrer la saison des froids, des fourrures, manteaux et lainages.

L’espace est métamorphosé quand le paysage se revêt « d’un épais tapis blanc » , que le ciel est « d’un bleu étincelant »et que la neige scintille « comme des milliers de diamants ». Elsa Beskow dans Olaf au pays du Roi Hiver célèbre le temps rêvé quand la neige sert d’accès à des pays merveilleux. Quel que soit le récit, l’accès à une dimension onirique s’opère dès l’apparition du premier flocon mais l’émerveillement est toujours précédé d’une attente.

Qu’on soit en Suède au début du XXe ou au XXIe siècle , l’attente de la chute de neige reste un des motifs indispensables des scenarios. L’impatience est nourrie par le désir de paysages blancs, de froid qui rosit les joues, de boules de neige et de bonnets, de Grand Nord avec ses lapons et ours blancs, de forêts givrées et de glissades en luge. Carl Norac consacre un texte à « la neige qui ne tombe pas » et dans un autre à l’hiver qui « est toujours un peu en retard ».

Et l’attente de la neige occupe déjà l’incipit du récit suédois d’Elsa Beskow. Olaf a eu une paire de skis pour ses six ans et il a hâte de les essayer. « Or, cette année-là, l’hiver semblait ne pas venir.

« Un peu de neige tombait de temps en temps, mais ce n’était pas suffisant pour que la nature se couvre d’un grand manteau blanc. Olaf guettait, attendait la neige et se disait en son for intérieur :  L’hiver ne viendra pas cette année. Il vint pourtant.  Quelques semaines avant Noël la neige tomba en gros flocons silencieux. »

Dans le petit album de Geneviève Casterman, dès les premiers flocons les enfants de la bande à Lily se lancent dans les préparatifs d’une joyeuse sortie, rêvant déjà chacun à son plaisir de neige… Mais une fois l’expédition bien organisée, plus de flocon et une couche bien trop mince pour les aventures imaginées, donc retour des enfants au chaud. Comme l’album se clôt sur une chute de neige nocturne, le lecteur comprend que la déception sera de courte durée.

Le désir d’hiver blanc et l’attente des plaisirs de la glisse sont aussi évoqués par un texte de Carl Norac dont le narrateur imagine une descente imaginaire à domicile : « Les sports d’hiver c’est trop cher pour mes parents. Alors je skie à la maison. Je skie sans pentes» (p.20). Dans son recueil de prose poétique, l’auteur s’attache aux nombreux plaisirs intimes de l’hiver comme « la toute petite fumée » que fait la bouche et la moufle perdue qu’on retrouve habitée, comme dans le conte. Cet ouvrage dédié à une mythologie contemporaine -et humoristique- de l’hiver réhabilite aussi la saison des rhumes et grippes, des chutes sur le verglas, des orteils et nez gelés, associant ces « plaisirs » du froid à l’évocation de la lumière des bougies ou l’odeur des aiguilles de sapin. Mais l’album de 2020 n’oublie pas le réchauffement climatique qui fait tomber la banquise… sous le regard curieux de Monsieur Stupide.

Quand l’hiver a été trop fugitif, le rêve de neige peut être entretenu par les livres pour la jeunesse qui nous réjouissent de froid piquant, de givre, de flocons et de glissades… jusqu’à l’an prochain si la saison revient.

Voir aussi :

Laisser un commentaire