Jean Perrot

un passeur de littérature que j’ai eu la chance de croiser en chemin


Hier j’étais aux obsèques de Jean Perrot à Eaubonne. Il est décédé le 19 décembre 2023, je l’ai appris par les réseaux sociaux à la veille de Noël et j’ai été saisie par le chagrin. Jean Perrot fut mon professeur et sa rencontre fut si importante pour ma vie personnelle et professionnelle que je souhaite revenir sur ce sentiment de deuil, en rappelant son rôle de médiateur de culture universitaire, de passeur au sens plein du terme. Je ne doute pas que nous soyons plusieurs à ressentir cela.


Comme les passeurs dont parlent les mythologistes ou ceux des récits pour la jeunesse dont Sandra Beckett a étudié la fonction symbolique notamment dans La quête spirituelle chez Henri Bosco, Jean Perrot s’est trouvé sur mon chemin pour « diriger mes pas, orienter ma quête ».

Planche de G. Lemoine pour L’enfant et la rivière de Henri Bosco, Gallimard, 1977.

Avec sa grande culture, son humanité et sa bienveillance, il a transmis des connaissances en convoquant de nombreux domaines intellectuels pour penser la littérature et la création pour la jeunesse. Ses interventions foisonnantes qui tissaient des liens lumineux entre les théories et les livres pour enfants, m’ont apporté beaucoup dès la première rencontre et m’ont ensuite donné les repères pour m’engager dans un travail littéraire et d’enseignement spécialisé en littérature. Grâce à ses analyses virtuoses et ses mises en relation érudites, il a éclairé la voie, donné envie de le suivre : les motifs étaient mis en lumière, les symboles étaient offerts par des associations fécondes, les œuvres littéraires pour la jeunesse révélaient leur profondeur. Et la simplicité de la discussion avec lui m’a non seulement donné confiance mais encouragée vers la reprise d’un parcours d’études, pour l’évolution de ma carrière dans l’éducation nationale vers la formation des enseignants et la recherche sur la littérature de jeunesse à l’université.

Pour préciser l’histoire de cette rencontre, il faut dire qu’avant de devenir mon professeur de littérature de jeunesse pendant plusieurs années, il fut un messager, du destin assurément…

1991 : Institutrice dans le Val d’Oise, je participais à un stage de formation continue qui me préparait à prendre en charge une Bibliothèque Centre Documentaire pour le grand groupe scolaire à fonctionnement particulier où j’enseignais. Au cours de ce long stage, riche en contenus pour la lecture et l’écriture, sous la houlette d’Annie Perrot et Maurice Müller, formateurs de lettres à l’IUFM, je me régalais de cette immersion dans les bibliographies et les lectures de littérature de jeunesse. Par chance, Annie Perrot y avait invité son mari Jean Perrot comme intervenant, un universitaire spécialiste de la littérature de jeunesse. À l’immédiate admiration, s’associe dans mon souvenir l’intense jubilation ressentie face à ses analyses. À cette occasion, et en marge des ateliers divers, il m’a encouragée à reprendre mes études en me donnant ses coordonnées pour rejoindre ses cours à Villetaneuse. Une voie s’est ouverte alors, il me montrait une direction. J’ai gardé précieusement le conseil et les coordonnées même si je me suis d’abord précipitée pour m’inscrire au CNED afin de devenir bibliothécaire spécialisée jeunesse. Il m’avait aussi invitée à assister au colloque de l’International research society for children’s literature qui se tenait à Paris et je l’y ai retrouvé aussi impressionnée par les spécialistes du monde entier que de son anglais fluide avec tous ces intervenants qui le connaissaient.

En quelques mois, la rencontre avec Jean Perrot m’avait non seulement signalé un chemin intellectuel et culturel réjouissant mais m’avait invité à l’emprunter à sa suite. Il devint alors un guide car les années suivantes il fut mon professeur à Paris 13 Villetaneuse.

1993-98 : Jean Perrot a facilité mon inscription en Licence de lettres modernes à Paris 13 à partir d’un jeu d’équivalences car le DEUG d’enseignement ne valait pas grand chose à la fac. Son département de Lettres Modernes offrait un emploi du temps favorable aux enseignants avec des cours en soirée et le mercredi. À partir de là, mon chemin d’initiation s’est nourri de ses cours sur la littérature de jeunesse, parmi les autres contenus passionnants de l’UFR, jusqu’au DEA.

Planche de G. Lemoine, L’enfant et la rivière, Henri Bosco, Gallimard, 1977.

Les théories sur la couleur et les formes, les références à l’histoire de l’art et la musique, les appuis multiples du structuralisme sur les mythes et l’imaginaire, la poétique de Bachelard, les ressources psychanalytiques et autres références multidisciplinaires sont croisées avec des livres dits pour la jeunesse et je repartais de Villetaneuse le soir avec des listes de lectures qui m’ont fait épuiser les rayons des bibliothèques. J’étais curieuse de toutes les ouvertures proposées pour l’interprétation et je me suis progressivement engagée sur les illustrations et leur relation au texte.  Son approche était ouverte, curieuse, décloisonnée : une mise en œuvre admirable de l’approche comparatiste. Je le suivais volontiers dans son analyse de l’esthétique post-moderne et j’adhérais évidemment à sa proposition de lecture critique sous la volute baroque. Jean Perrot m’a accompagnée et encouragée à chaque étape, pour mon mémoire de maitrise de lettres modernes sur Les déambulations initiatiques dans l’album de jeunesse puis dans mon sujet de DEA sur Les carnets d’illustrateurs de George Lemoine. Pour m’aider à préciser mon sujet fin 1995, nous nous étions retrouvés au Salon de Montreuil où il m’avait présentée à plusieurs artistes qui m’avaient ouvert leurs carnets, notamment Claude Lapointe, Jean Claverie et Georges Lemoine… Car avec Jean Perrot, la transmission ne s’arrêtait pas aux cours à l’université mais elle se prolongeait dans d’autres temps d’échanges, d’ateliers d’écriture, de lecture critique ou de réunions autour de la création de l’Institut Charles Perrault qui s’installait à l’Hôtel de Mézières à Eaubonne. Avec d’autres étudiants, j’ai assisté aux premières journées d’études et colloques où il invitait de nombreux chercheurs passionnants, collègues spécialistes français ou étrangers. Je suis intervenue pour l’Institut autour de mon sujet de maitrise et, après le DEA, il m’invita à prendre la parole dans la journée Histoire, mémoire et paysage : ce furent mes premières interventions publiques sur un sujet de recherche. Je n’ai malheureusement pas pu répondre à toutes ses invitations de collaboration, pour un guide de littérature de jeunesse ou des formations à l’IICP, car je manquais de temps avec mon métier de formatrice du premier degré. En 1998, il m’encouragea à poursuivre en doctorat tout en m’annonçant qu’il arrêtait son enseignement pour raisons de santé et qu’il ne dirigerait plus de thèse.

1999-2005 : La relation s’est un peu distendue, peut-être pensa-t-il avoir fini son travail avec moi car de son côté, il publia un très bel ouvrage sur les carnets d’illustrateurs. Pour ma part, je m’inscrivis en thèse à Rennes avec Isabelle Nières-Chevrel pour continuer vers le doctorat. À cette période, j’étais employée à l’IUFM pour la formation des professeurs des écoles en français et en littérature de jeunesse donc ses livres et articles restaient en bonne place dans mes bibliographies. En 2005, je le retrouvais comme membre de mon jury de thèse sur l’illustration de George Lemoine, il m’apporta encore une aide pour les dernières coquilles avant soutenance, et j’avoue aussi ma sincère gratitude face à son attentif rapport de lecture.


Ensuite, après 2005 nous nous croisions régulièrement autour de publications, de journées d’étude ou dans des évènements sur la littérature de jeunesse, expositions à Paris, à la galerie L’Art à la page ou à Margny lès Compiègne au Centre André François créé par Janine Kotwika. Quand il assistait aux colloques dans lesquels j’intervenais, ses remarques étaient toujours bienveillantes.  

Je suis heureuse d’avoir pu lui dire l’importance qu’il avait eu et le rôle que sa rencontre avait joué dans ma vie. Il m’avait regardé derrière ses grands verres de lunettes, sans doute pas vraiment surpris, mais apparemment, derrière son sourire, touché que je lui dise. Je dois remercier pour cela les tribulations de la ligne H du transilien car il nous arrivait de rentrer ensemble de Paris. Je me souviens qu’il m’avait raccompagnée en voiture un soir à St Leu quand le train décida de faire terminus à la gare d’Eaubonne. Et une des dernières fois où nous nous sommes vus, je l’ai raccompagné en voiture de la BNF vers notre Val d’Oise. À ces occasions, nous parlions des auteurs et illustrateurs si passionnants et du master littérature de jeunesse dans lequel j’enseignais, parfois de politique, mais le plus souvent nous échangions sur la famille, il prenait des nouvelles de ma fille et me parlait de ses petits-enfants qui étaient devenus le centre de son attention.

Jean Perrot fut donc mon professeur de littérature, de comparatisme et d’illustration, c’est déjà beaucoup. Mais par la confiance qu’il m’a donnée, à un moment où j’en avais bien besoin, et grâce à son accompagnement attentif, il fut quelqu’un de bien plus important, la place qu’il occupe dans ma vie est unique.

C’est pourquoi il était essentiel pour moi de me joindre à sa famille, à Annie, ses enfants et petits-enfants en ce jour d’obsèques, je voulais me tenir auprès d’eux pour lui dire merci.

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